Le mercredi 5 mars, le rendement du Bund à 10 ans a augmenté de 30 points de base, soit la plus forte hausse depuis la chute du mur de Berlin. Il a continué à augmenter les jours suivants, atteignant un pic le 11 mars. L'élément déclencheur a été l'annonce faite par Friedrich Merz (CDU) et les dirigeants de la CSU et du SPD lors d'une conférence de presse nocturne le mardi 4 mars 2025, durant laquelle ils avaient annoncé leur accord pour :
- réformer le frein à l'endettement
- exempter du frein à l’endettement les dépenses de défense supérieures à 1 % du PIB
- créer un fonds de 500 milliards d'euros pour les investissements dans les infrastructures.

L'évolution du marché obligataire allemand a eu des répercussions importantes sur les marchés de la zone euro mais ce n'est pas une surprise. L'augmentation des rendements du Bund déclenche un rééquilibrage des portefeuilles, car les investisseurs qui visent un certain rendement ont besoin de moins d'exposition aux marchés à haut rendement pour atteindre leur objectif lorsque les taux à long terme allemands sont devenus plus attrayants. Cette tendance à l'arbitrage des investisseurs s'est intensifiée ces dernières années, étant donné que depuis février 2022 — lorsque les rendements des Bunds sont redevenus positifs — les corrélations bilatérales avec le marché allemand sont nettement plus élevées qu'auparavant. En Italie, par exemple, les trois quarts des variations hebdomadaires des rendements s'expliquent par les variations des rendements allemands.[1] Pour d'autres pays, les chiffres sont encore plus élevés, atteignant 95 % aux Pays-Bas et en Belgique et 91 % en France (tableau 1, colonne e). Le bêta de régression — la variation des rendements obligataires pour une variation donnée des rendements allemands — est également proche de 1 pour les différents pays (colonne d), ce qui implique, a priori, une transmission complète des variations des rendements du Bund.

Cette relation statistique nous permet d'évaluer si, compte tenu de l'évolution des rendements du Bund, l'évolution des autres marchés a été conforme aux attentes (tableau 1, colonne h). Il semble que les différents marchés aient connu une certaine sous-réaction par rapport à ce qui s'est passé en Allemagne. Cela a été particulièrement le cas en Italie et en Espagne, où l'augmentation des rendements a correspondu à 83 %, respectivement 84 %, de ce qui était attendu sur la base de l'analyse de régression. Néanmoins, ces pays, tout comme les autres, ont souffert d'un effet de contagion important des annonces faites en Allemagne. Il reste à voir si ces retombées financières négatives (coûts d'emprunt plus élevés) seront compensées, du moins en partie, par les retombées positives de l'augmentation des échanges avec l'Allemagne à la suite de l'impulsion budgétaire donnée dans ce pays. Un document de travail de la BCE ([2] ) présente des simulations basées sur des modèles montrant qu'une augmentation de l'investissement public allemand de 1 % du PIB pendant deux ans augmente la production allemande de près de 1,5 %, mais que l'impact sur le reste de la zone euro est inférieur à 0,1 %. Ces retombées limitées sont dues à la hausse des taux d'intérêt officiels en réaction à l'expansion budgétaire. Si la politique monétaire n'est pas resserrée, l'impact national sur la croissance est légèrement supérieur à 1,5 % et les retombées sont également plus importantes (environ 0,25 %). Dans l'ensemble, il apparaît que les retombées réelles devraient être limitées. Il est très difficile d'évaluer l'effet net sur la croissance en dehors de l'Allemagne, car il dépend de la sensibilité de la demande finale aux taux d'intérêt, de l'ampleur de l'augmentation des dépenses allemandes et du contenu en importations (non européennes) des dépenses supplémentaires. Les effets de confiance (un retour des esprits animaux) pourraient également jouer un rôle.
[1] Pour l'Italie, sur la base du R² d'une régression de la variation hebdomadaire des rendements italiens en fonction de la variation hebdomadaire des rendements allemands sur la période février 2022-décembre 2024, 74 % de la première est expliquée par la variation des rendements des Bunds. Pendant la période des rendements négatifs des Bunds (mars 2019-fin janvier 2022), le chiffre équivalent était de 12,5 %. Entre janvier 2013 et mars 2019, il était de 9,4 %.
[2] Source : Mario Alloza, Marien Ferdinandusse, Pascal Jacquinot, Katja Schmidt, Fiscal expenditure spillovers in the euro area : an empirical and model-based assessment, ECB occasional paper 240, avril 2020. Le document fait également référence aux recherches de Roel Beetsma et de ses coauteurs publiées en 2006, qui montrent qu'une "expansion budgétaire basée sur les dépenses de 1 % du PIB en Allemagne conduirait à une augmentation moyenne de la production des autres économies de l'UE de 0,15 % après deux ans". L'effet serait plus important (0,4 % après deux ans) dans les pays voisins (Autriche, Belgique et Pays-Bas). Ils mentionnent également des travaux du FMI en 2017 montrant un impact positif sur l'Europe de 0,26 % d'un choc de dépenses publiques de 1 % en Allemagne