Révisions à la baisse des perspectives de croissance, envolée de l'inflation, volatilité des places financières… : le contexte de 2022 n'a pas constitué un environnement facile pour les investisseurs.
Dès lors, comment aurait-il fallu réagir en matière de placements ? Quelles décisions aurait-il fallu prendre ?... Autant de questions auxquelles répond Maxime Viémont, spécialiste Finance Comportementale chez Portzamparc, filiale du groupe BNP Paribas, spécialisée dans l'accompagnement des investisseurs privés et des PME en bourse.
Engagé sur les marchés financiers depuis 25 ans, vous vous appuyez sur les principes de la finance comportementale pour aider les investisseurs à optimiser leur prise de décision. Pouvez-nous nous éclairer sur ce concept ?
Maxime Viémont : Il est apparu que chaque investisseur est influencé dans ses décisions et sa prise de risque par ses émotions et ses expériences personnelles. Or, les états émotionnels de l'individu sont très variables. Il peut passer d'un état d'optimisme, voire d'enthousiasme, à des phases de panique ou encore de découragement. C'est pourquoi être conscient de ses tendances naturelles permet de mieux maîtriser les risques pris et de les adapter à ses objectifs personnels. Tel est le vaste champ d'étude de la finance comportementale.
Elle étudie l'impact de la psychologie humaine sur le comportement de l'investisseur. C'est en quelque sorte l'application de la psychologie à la finance.
L'année passée a-t-elle mis en évidence des traits émotionnels particuliers chez les investisseurs ?
2022 constitue un parfait cas d'école en matière de finance comportementale. Pour mieux comprendre l'impact que peuvent avoir les émotions d'un investisseur sur sa stratégie d'investissement, je vous propose de découper l'année 2022 par trimestre.
Au cours des 3 premiers mois de l'année 2022, les marchés financiers ont accusé une forte et rapide baisse, principalement emmenée par les valeurs de croissance. Face à ce retournement, l'investisseur s'est alors trouvé perdu car il était resté ancré sur les bons fondamentaux économiques et les bonnes performances des marchés financiers de l'année 2021. Aussi, il n'a pas compris pourquoi le marché baissait autant. C'est ce que l'on appelle en finance comportementale la dissonance cognitive : l'investisseur ne comprend pas ce qui se passe et cherche des informations qui peuvent le rassurer. Dans un tel contexte, il conserve la même allocation de son portefeuille, ce qui signifie qu'il conserve les fonds qui perdent de la valeur.
Ce sentiment de ne pas savoir quelle stratégie adopter a-t-il persisté au 2e trimestre 2022 ?
A ce moment-là, l'investisseur a pris conscience que la situation économique se dégradait : crise économique accentuée par le conflit en Ukraine, retour de l'inflation, hausse des taux d'intérêt... Il a alors commencé à vendre mais en agissant ainsi il a déstructuré son portefeuille en se séparant des fonds qui se maintenaient et en conservant ceux qui se dégradaient.
Durant cette période, l'investisseur est dans une phase émotionnelle d'aversion aux regrets, c'est-à-dire qu'il regrette de ne pas avoir agi plus tôt : il éprouve des difficultés à vendre les fonds qui perdent de la valeur car il ressent de l'aversion aux regrets. Il redoute de vendre des fonds qui pourraient remonter rapidement. C'est pourquoi il les conserve au lieu d'arbitrer en faveur de meilleures opportunités. Il est en quelque sorte pris à son propre piège.
L'investisseur a-t-il su réagir au cours du 3e trimestre ?
Au 3e trimestre, l'investisseur a capitulé. Sa pression émotionnelle a été trop forte à supporter. Même si le temps permet d'accepter les choses, il est en pleine phase de capitulation. Face à un marché qui a continué à baisser, il s'est découragé et a décidé d'augmenter sa part de liquidités en vendant.
Cet état d'esprit ne lui a pas permis de participer à la reprise des marchés qui est intervenue au 4e trimestre 2022. Si les places financières ont su anticiper un retour de la croissance, l'investisseur, lui, est resté démuni face au rebond des marchés. Il n'est pas parvenu pas à y participer et a regardé, en simple spectateur, le marché afficher un retour à la hausse.
Quels sont les enseignements que nous devons tirer de l'année passée ?
L'année 2022 nous a montré les erreurs à éviter en matière de placements financiers et réaffirmé les 3 grands principes fondamentaux à respecter et ce, quel que soit l'environnement des marchés financiers.
Le premier principe est de rester investi et de ne jamais céder à la panique. Il ne faut jamais en effet être tenté de vendre pour avoir des liquidités car il faut garder à l'esprit que, sur le long terme, les marchés remontent. Dans une optique de moyen/long terme, les baisses importantes peuvent parfois constituer des points d'entrée intéressants et donc générer des opportunités.
Second principe fondamental : rester diversifié de façon à absorber les chocs des marchés. Ce point s'est avéré essentiel en 2022 où l'on a vu des rotations sectorielles se succéder de plus en plus vite.
Enfin, troisième et dernier principe : gérer son portefeuille en mode arbitrage. Il est important de commencer par se désengager des fonds qui vont moins bien en premier et de conserver ceux qui offrent le meilleur potentiel.
Le rôle du banquier privé est ici essentiel ?
Le rôle du banquier privé est primordial. Il peut en effet aider l'investisseur à prendre du recul car il n'a pas le même ressenti émotionnel que lui.
C'est aussi l'occasion de voir avec lui si l'allocation correspond bien à son profil de risque, à ses objectifs et à son horizon de placement, si son portefeuille est bien diversifié. Le cas échéant, une nouvelle répartition pourra être mise en place. Le but est de diminuer l'intensité émotionnelle, ce qui permet de mieux appliquer la stratégie d'investissement définie.