Le dollar intervient dans neuf transactions de change sur dix et représente encore 58% du total des réserves en devises. Matières premières, taux, dérivés : il est la monnaie dominante sur presque tous les marchés, à l’exception de celui des obligations vertes ou green bonds, majoritairement libellées en euro, et dont le décollage est surtout le fait d’entreprises ou d’acteurs publics basés sur le Vieux Continent. En 2025, le volume d’émissions de green bonds devrait encore atteindre un record. Reste à savoir si, par la suite, la controffensive américaine sur le terrain de la responsabilité sociale et environnementale constituera une menace ou une opportunité pour la finance durable. Beaucoup d’arguments militent en faveur de la seconde option.
Depuis l’Accord de Paris sur le climat de 2015 et la mise en place, par l'International Capital Market Association (ICMA), des principes qui lui sont applicables, le marché des obligations vertes connaît une ascension verticale. Bien qu’encore modeste à l’échelle mondiale (USD 2 900 milliards, soit à peine 2,5% du total des encours obligataires), sa taille a plus que quintuplé durant les cinq dernières années. Dans ce décollage, la zone euro a joué un rôle moteur, loin devant les États-Unis et la Chine. À l’aune des émissions cumulées, la monnaie unique se taille la part du lion : 46% du marché en 2024, contre 28% seulement pour le dollar US (cf. graphique).
MARCHÉ DES OBLIGATIONS VERTES PAR DEVISE

Le contexte géopolitique, marqué par la guerre en Ukraine, la course au réarmement et le retour aux affaires de Donald Trump, amène toutefois à s’interroger sur la poursuite de cette expansion. La « contre-réaction » (backlash) des gouvernements, face aux questions climatiques et environnementales, ne risque-t-elle pas de couper dans son élan le marché des green bonds, et, incidemment l’usage de l’euro qui lui est associé ? C’est en réalité peu probable, la finance durable continuant d’opposer de solides arguments face aux offensives politiques qui la visent.
En lutte contre les critères sociaux et de gouvernance, l’Administration Trump ne peut décider à la place des investisseurs.
La diffusion des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) obéit à une tendance lourde pas seulement dictée par les États mais aussi par les attentes du secteur privé. Fait symptomatique, les grands gestionnaires d’actifs « invités » à ne plus privilégier les placements responsables aux États-Unis, maintiennent leur offre ailleurs, quand ils ne la renforcent pas (Financial Times, 2025[1]). En Europe, les critères ESG continuent de faire partie du « business as usual » pour bon nombre d’entreprises. Au-delà de la réglementation, le marché reste animé par un « mur d’échéances » (tombées de dettes) qui crée une poussée naturelle pour le réinvestissement. En 2025, les émissions d'obligations vertes devraient encore croître de 8 %, pour atteindre USD 660 milliards[2].
Du côté des épargnants, l’ESG reste un facteur discriminant pour les placements, notamment depuis que ces derniers peuvent bénéficier, avec le Green Bond Standard européen (EuGBS), d’une transparence et d’un cadre réglementaire renforcés. Une étude récente de la Banque des règlements internationaux (BRI, 2025) [3] met d’ailleurs en évidence une corrélation statistique forte entre taxonomie et investissements durables.
Les obligations vertes répondent de mieux en mieux à leur objectif de décarbonation ; elles se présentent en outre comme un outil de financement avantageux pour les émetteurs, souverains ou privés.
Sans contester l’existence d’effets d’aubaine ou d’affichage (greenwashing), l’étude précitée montre que le marché des obligations vertes contribue malgré tout, et de manière significative, à la décarbonation des entreprises. Celles qui y ont recours réduiraient de 21% en moyenne au bout d’un an leurs émissions unitaires de gaz à effet des serre (GES), les progrès les plus significatifs étant obtenus dans les secteurs énergo-intensifs[4].
Les décideurs publics freineraient-ils l’expansion du marché des green bonds qu’ils agiraient contre leur propre intérêt. De plus en plus souvent, les agences de notations intègrent les trajectoires de réduction d’émissions de CO2 dans leurs évaluations de la dette des États, les mieux-disants minimisant le risque de transition désordonnée et obtenant, ainsi, de meilleurs ratings (Capiello & al., 2025) [5]. Sur les marchés, les primes à l’émission d’obligations vertes (greenium) restent variables et, globalement, modestes (quelques points de base). Mais ce début de reconnaissance est à souligner, à l’heure où la question de la soutenabilité des finances publiques refait surface.
En résumé, bien que dans le viseur des autorités américaines, la finance responsable et durable n’en continue pas moins d’avancer.
Moins bienvenue aux États-Unis, elle se redéploye au bénéfice de sa place forte traditionnelle : l’Europe. Tout comme les pétrodollars ont pu contribuer, il y a cinquante ans, à l’internationalisation du dollar, la transition écologique pourrait bien, dans le futur, consacrer l’euro en tant que véritable monnaie « verte ».
[1] Ross A. (2025) Can sustainable investing survive Trump 2.0?, Financial Times, January 17.
[2] Cf. notre point d’actualité disponible sur le site institutionnel de BNP Paribas : Les obligations durables en 2025 : un marché en pleine évolution - BNP Paribas.
[3] BIS (2025), Growth of the green bond market and greenhouse gas emissions, Quarterly Review, March.
[4] Ibid, pp 64-65. Les résultats - obtenus sur dix ans à partir d’un panel de 736 entreprises - sont significatifs au seuil de 5% (intervalle de confiance à 95%) et tiennent compte de l’addition de variables de contrôle, telles les pertes de PIB liées à la Covid-19. Les émissions de GES sont rapportées au total du chiffre d’affaires.
[5] Cappiello, L., Ferrucci G., Maddaloni A., Vegente, V. (2025), Creditworthy: do climate change risks matter for sovereign credit ratings?, European Central Bank Working Paper n° 3042, March.