Résumé
- La Fed a augmenté ses taux directeurs comme prévu lors de la réunion de mars, mais elle envisage maintenant de relever ses taux plus rapidement et plus durement.
- La Fed est passée d’une volonté de retirer les excès de liquidités dans le marché à un souhait de resserrer les conditions financières compte tenu du niveau élevé de l’inflation.
- Nous prévoyons désormais 5 hausses de taux supplémentaires cette année au lieu de 3. Nous maintenons notre prévision de 4 hausses de taux en 2023. Nous avons augmenté notre objectif à 2% pour le taux américain à 2 ans et nous avons une recommandation positive sur les bons du Trésor américain à court terme.
- La Fed risque une récession si l'économie américaine s'avère moins résistante que ce qu'elle pense. Pour l'instant, le risque de récession dans un an est faible.
- La BCE s'est également montrée agressive lors de sa réunion de mars en raison de l'inflation élevée. L'économie de la zone euro est confrontée à un risque accru sur la croissance en raison du conflit en Europe de l’Est.
Une Fed plus agressive
La Fed a relevé ses taux de 25 points de base (pb) hier, pour les porter à 0,50 %, en raison de la flambée de l'inflation. Elle a revu ses prévisions d'inflation à la hausse pour cette année et les deux années suivantes. Elle a également revu à la baisse ses prévisions de croissance, mais seulement pour cette année. Tout cela était attendu.
La surprise est venue des prévisions de la Fed concernant les hausses de taux directeurs. Elle a modifié ses prévisions de manière substantielle par rapport aux projections de décembre. La Fed prévoit désormais un cycle de hausse de taux plus fort et plus court, avec six hausses encore cette année, c'est-à-dire une à chaque réunion. Elle s'attend à ce que le taux directeur atteigne son pic à 2,75% dès 2023 et soit maintenu sur 2024. Ce niveau est plus élevé que le taux à long terme attendu (2,38%), ce qui suggère que la Fed est passée de la volonté de supprimer l'excès de liquidités dans le système à un véritable resserrement des conditions financières. La Fed est convaincue que l'économie peut le supporter. Il semble qu’elle se concentre désormais uniquement sur la lutte contre l'inflation, en ignorant le marché du travail, au risque de provoquer une récession.
Risque de récession
Aux États-Unis, les récessions passées ont généralement été précédées d'une inversion de la courbe des taux (les taux à long terme devenant inférieurs aux taux à court terme). Cette inversion a généralement déclenché une récession 12 à 16 mois plus tard. Actuellement, l'écart entre le taux à 10 ans et le taux à 3 mois, qui est la courbe des taux utilisée par la Fed dans son modèle de récession, est de 175pb, ce qui indique un risque de récession dans un an très faible (5%). Le marché se concentre davantage sur la différence entre le taux à 10 ans et le taux à 2 ans. Il est actuellement de 22pb, ce qui laisse supposer un risque non négligeable de récession à un an (25%), car dans le passé, les récessions sont survenues en moyenne lorsque cette probabilité était supérieure à 30%.
En outre, nous examinons le nombre de segments inversés de la courbe des taux pour mieux évaluer le risque de récession. Actuellement, même si la courbe des taux est assez plate, il n'y a qu'un seul segment inversé (le taux à 7 ans est plus élevé que le taux à 10 ans) sur 9. Le risque de récession est donc faible pour le moment. Toutefois, si la Fed continue de relever ses taux comme prévu, la courbe des taux va s'aplatir davantage et le nombre de segments inversés dans la courbe des taux va augmenter. Le resserrement quantitatif (Quantitative Tightening, QT) pourrait alors aider. En effet, la Fed prévoit de réduire la taille de son bilan en ralentissant les réinvestissements des actifs arrivés à maturité. Cela enlèvera une certaine pression d'achat sur les bons du Trésor à moyen et long terme, éliminant ainsi de la pression sur l’aplatissement de la courbe des taux. Plus de détails sur le QT devraient être annoncés en mai et le QT pourrait commencer peu après.
Changement dans notre scénario
Nous avons révisé notre scénario compte tenu du ton agressif de la Fed, de sa détermination à revenir à la stabilité des prix et de sa volonté de resserrer sa politique monétaire plus rapidement et plus fortement qu’initialement prévu. Nous nous attendons désormais à ce que la Fed relève ses taux encore 5 fois cette année au lieu de 3. Nous maintenons notre hypothèse de 4 hausses de taux l'année prochaine. Cela signifie que nous augmentons notre objectif à 12 mois sur le taux américain à 2 ans de 1,5% à 2%. Comme le taux à 2 ans est actuellement très proche de cet objectif, nous avons une vue positive sur les obligations d'État américaines à court terme, surtout à la lumière des événements géopolitiques actuels, car ces actifs sont considérés comme des valeurs refuges puisqu'elles sont sûres et liquides.
Nos objectifs à 12 mois pour les taux à long terme sont de 2,25% pour le taux américain à 10 ans et de 0,50% pour son équivalent allemand. Nous voyons les taux à long terme augmenter modérément au fur et à mesure de la normalisation de la politique monétaire.
Une BCE plus agressive
Quant à la BCE, l'inflation est également une préoccupation. Lors de la réunion de mars, elle a revu ses prévisions d'inflation fortement à la hausse pour 2022 et légèrement à la hausse pour 2023 et 2024. La prévision d'inflation à moyen terme est très proche de l'objectif de 2 %. La BCE se trouve dans une position inconfortable, avec d'une part une inflation bien supérieure à son objectif de 2%, et d'autre part une croissance affaiblie par les incertitudes géopolitiques et les conséquences des sanctions contre la Russie. Face à ce dilemme, la BCE a choisi de donner la priorité à la lutte contre l'inflation. La normalisation de la politique monétaire est donc en cours. La BCE arrêtera les achats nets du programme d'achat d'actifs pandémique PEPP en mars. Elle accélérera la réduction progressive du programme APP et, en principe, arrêtera les achats nets de l’APP au troisième trimestre. Enfin, elle relèvera ses taux directeurs quelque temps après. Nous pensons que la première hausse de taux interviendra en décembre, étant donné que ce n'est que vers la fin de l'année que l'inflation devrait se traduire par des augmentations de salaires.