Chaque trimestre, la Commission européenne interroge les entreprises sur les facteurs limitant leur production : demande insuffisante, contraintes d’offre (marché du travail, pénurie de matériaux et/ou d’équipements) et facteur financier. Les enquêtes peuvent aider à mieux comprendre les moteurs de l’inflation. Un modèle quantitatif de la hausse des prix à la production semble indiquer que le rythme de la désinflation sera lent. En effet, contrairement aux facteurs liés à la demande, qui est proche de sa moyenne de long terme, les facteurs liés à l’offre dans l’industrie continuent d’exercer des contraintes bien supérieures à la normale sur la production. L’analyse porte sur l’inflation des prix à la production mais, compte tenu de la relation étroite existant entre celle-ci et l’inflation des prix à la consommation (IPCH) dans la zone euro, les conclusions ne sont pas sans importance pour cette dernière.
Chaque trimestre, la Commission européenne interroge les entreprises sur les facteurs limitant leur production. Elle distingue ainsi la demande, l’offre (goulets d’étranglement du marché du travail, pénurie de matériaux et/ou d’équipements) et un facteurs financier[1]. Le graphique 1 présente les résultats de l’enquête, exprimés en z-score, d’après des données remontant à 1985, à l’exception du facteur financier, dont les données ne sont disponibles qu’à partir du premier trimestre 2002[2].
Comme le montrent les données historiques jusqu’en 2019, la demande en tant que facteur limitant la production a fluctué davantage que la main-d’œuvre ou la pénurie de matériaux et/ou d’équipements. On peut donc penser qu’au cours de cette période, les variations de la demande ont joué un rôle prédominant dans les cycles conjoncturels de la zone euro, particulièrement durant les crises de 2008 et 2011.
Le graphique montre également le caractère unique du choc occasionné par la Covid-19 et ses répercussions. Dans un premier temps, la faiblesse de la demande, due aux confinements, a pesé sur la production, mais les facteurs liés à l’offre (main-d’œuvre, matériaux, équipements) sont rapidement devenus une contrainte majeure tandis que la demande est repartie à la hausse à la faveur des mesures d’aide au revenu et de la levée des restrictions sur la mobilité. Résultat, l’économie de la zone euro, ainsi que celle de nombreux autres pays a connu un choc positif sur la demande, conjugué à un choc négatif sur l’offre, avec les conséquences que l’on connait en termes d’inflation. Comme l’indique clairement le graphique 2, les années 2021 et 2022 ont réuni les conditions « idéales » pour générer une forte augmentation des prix à la production : une demande élevée[3], des goulets d’étranglement sur le marché du travail, une pénurie de matériaux et d’équipements – perturbations de l’offre liées à la pandémie et, en 2022, à la guerre en Ukraine – ainsi qu’un environnement financier accommodant.
À en juger par les résultats de la dernière enquête, la hausse annuelle des prix à la production s’est nettement repliée[4] et la demande marque le pas : le pourcentage de chefs d’entreprise signalant la demande comme facteur limitant leur production augmente, quoique à partir d’un niveau très bas. Après un accroissement significatif, en ligne avec la hausse des taux d’intérêt, le facteur financier pèse moins sur la production qu’auparavant, même s’il reste supérieur à la moyenne de long terme. Enfin, les contraintes d’offre (main-d’œuvre, matériaux, équipements) se sont également atténuées tout en restant bien supérieures à la moyenne historique.
Le tableau 1 présente les résultats d’une analyse de régression univariée avec l’inflation annuelle des prix à la production comme variable dépendante et les quatre facteurs pouvant limiter la production comme variables explicatives. La première partie affiche les résultats obtenus à partir de l’ensemble des données tandis que la seconde se limite à la période pré-Covid-19. Toutes les variables sont significatives, à l’exception du facteur financier dans la régression qui utilise toutes les données et tous les coefficients présentent les signes attendus. Lorsqu’on utilise l’ensemble des données (première partie du tableau), la main-d’œuvre, ainsi que les matériaux et les équipements sont extrêmement significatifs et les coefficients R² respectifs sont beaucoup plus élevés. Cela montre le rôle des facteurs liés à l’offre dans l’évolution de l’inflation depuis la pandémie. Cependant, la faiblesse générale du coefficient R², en particulier au cours de la période pré-Covid-19, montre que si on ne retient qu’une seule variable explicative, une bonne partie de la variation de la hausse des prix à la production reste inexpliquée. Une régression multivariée donne de meilleurs résultats avec un R² de 0,79 pour l’ensemble de l’échantillon et de 0,50 pour la période pré-Covid-19[5].
Ces résultats peuvent aider à évaluer l’évolution future de l’inflation des prix à la production. Sur la base du modèle multivarié, on pourrait s’attendre à une inflation annuelle des prix à la production de 2,7 % si les valeurs des trois variables explicatives correspondaient à leur moyenne de long terme. Au deuxième trimestre de cette année, le facteur lié à la demande était très proche de sa moyenne de long terme (respectivement, 27 et 30) tandis que l’écart restait considérable pour la main-d’œuvre et les matériaux/équipements en tant que contraintes pesant sur la production (respectivement, 25 contre 7 et 28 contre 9). Cela laisse supposer que les facteurs liés à l’offre continueront à alimenter la hausse des prix à la production pendant encore un certain temps. Une réserve importante s’impose néanmoins : les coefficients R² montrent qu’une bonne partie de l’inflation n’est pas expliquée par le modèle de sorte que d’autres facteurs pourraient avoir un effet désinflationniste. Dans ce cas, il resterait à les identifier. En conclusion, dans le contexte actuel, les prévisions d’inflation s’accompagnent d’un degré élevé d’incertitude, avec un risque évident que la désinflation soit plus lente qu’attendu. L’analyse porte sur l’inflation des prix à la production mais, compte tenu de la relation étroite existant entre celle-ci et l’inflation des prix à la consommation (IPCH) dans la zone euro[6], les conclusions sont également pertinentes pour cette dernière.
[1] La question est formulée ainsi : « Quels sont les principaux facteurs limitant votre production ? Aucun ; demande insuffisante ; pénurie de main-d’œuvre ; pénurie de matériaux et/ou d’équipements ; contraintes financières ; autres facteurs ». Source : Commission européenne, Programme conjoint harmonisé de l’UE pour les enquêtes auprès des chefs d’entreprise et des consommateurs, Guide d’utilisation, janvier 2023.
[2] La volatilité varie selon les enquêtes. Aussi, pour faciliter les comparaisons, les données ont été exprimées en z-score.
[3] Au graphique 2, la série relative à la demande, tirée de l’enquête de la Commission européenne, a été transformée en retranchant les résultats de l’enquête de 100. Un niveau élevé correspond à une demande élevée, ce qui ne constitue pas une contrainte pour la production. On introduit ainsi une corrélation positive entre demande et inflation, ce qui facilite l’interprétation du graphique.
[4] En base trimestrielle, les prix à la production ont été quasiment stables au quatrième trimestre 2022 et ont reculé de 3,6 % au premier trimestre de cette année.
[5] Dans la régression multivariée, le facteur financier n’a pas été retenu car il n’était pas significatif.
[6] D’après les données mensuelles enregistrées depuis 1991, une régression de la hausse annuelle des prix à la consommation en tant que fonction de la hausse annuelle des prix à la production donne un R² de 0,75. Sur la base de cette équation, lorsque la hausse des prix à la production est à 3,0 %, sa moyenne de long terme, la hausse des prix à la consommation devrait être de 2,0 %.
Source : Etudes Economiques – BNP Paribas