Accueil Actualités

Soulagement et anxiété face à la situation économique mondiale

Isabelle Mateos y Lago
Cheffe économiste du groupe BNP Paribas et directrice des Études Économiques
Publié le 21 octobre 2025 - Mis à jour le 21 octobre 2025
Temps de lecture : 8 minutes

Un « soulagement anxieux », tel était l'état d’esprit des officiels et des acteurs du secteur privé venus assister aux réunions annuelles du Fonds monétaire international (FMI) à Washington DC la semaine dernière. Le soulagement que, malgré le choc tarifaire américain, l'économie se porte beaucoup mieux que ce qui avait été prévu au printemps dernier – tant au niveau mondial que régional. L’anxiété de réaliser que sous les développements récents favorables de l’économie et des marchés, une nouvelle tectonique des plaques se met en place, qui n’en est qu’à ses débuts et reste mal comprise.

Une résilience inattendue

L’un des rares points de consensus de ces réunions du FMI a été le constat que les performances économiques dépassent, depuis le début de l'année, les prévisions pessimistes du printemps post- « Liberation Day » et que, selon le scénario central, cette tendance devrait se poursuivre jusqu'en 2026. Les raisons : un commerce mondial robuste, des conditions financières favorables, une baisse des incertitudes sur la politique économique des États-Unis depuis l'été et, dans l'ensemble, des politiques plutôt saines et favorables à la croissance économique presque partout ailleurs.

Malgré ce soulagement, les inquiétudes abondent

« Une croissance faible, un endettement élevé, des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles plus fréquents, des tensions commerciales, des déséquilibres mondiaux excessifs » sont les difficultés communes identifiées dans la déclaration de clôture[1] de la réunion du Comité monétaire et financier international (CMFI), instance de pilotage du FMI composée de ministres des Finances et de gouverneurs des banques centrales. En outre, pour les participants chaque région a ses forces et ses faiblesses propres :

- Aux États-Unis, l'optimisme suscité par l'intelligence artificielle, et les investissements massifs qu'elle génère, l'emporte pour l'instant sur l'impact négatif des droits de douane, du caractère ad hoc des politiques économiques et des inquiétudes concernant l'indépendance de la Réserve fédérale (sujet débattu en profondeur lors des réunions). La vigueur « en K » de la consommation (intégralement tirée par les ménages à revenus élevés, tandis que ceux à l'autre extrémité de la distribution des revenus réduisent leurs dépenses) et l'équilibre curieux du marché du travail  « peu d’embauches, peu de licenciements » – ont été cités comme des raisons d'être prudents quant aux perspectives. Mais, dans l'ensemble, les participants se sont montrés plus enclins à croire à une réaccélération du rythme de croissance et à anticiper une nouvelle hausse significative de l'inflation, reflétant le fait que l'essentiel de la répercussion des droits de douane est encore à venir.

- Le « moment européen », slogan omniprésent lors des réunions de printemps du FMI, semble être passé. Cette fois-ci, l'Europe a été peu abordée en dehors des réunions et panels entre Européens. Ceux-ci ont fait valoir que de nombreuses réformes structurelles favorables à la croissance sont en cours, que la croissance accélère progressivement et que l'inflation est revenue à la cible fixée par la BCE. Mais les autres participants ont, quant à eux, généralement estimé que les changements concrets étaient trop modestes et trop lents pour susciter l’enthousiasme.

- Les marchés émergents se sont vu décerner par le FMI la meilleure note pour la qualité de leurs politiques économiques. Les participants du secteur privé ont manifesté un vif intérêt et un optimisme quant à leurs perspectives (alors même qu’on observe déjà une surperformance historique des actifs des marchés émergents depuis le début de l'année). Cependant, la Chine, dont les représentants ont fait preuve d'une discrétion inhabituelle, a été pointée du doigt pour ses défis persistants en matière de politiques structurelles, qui conduisent à la déflation, à une demande intérieure faible et à une contribution croissante aux déséquilibres mondiaux.

Faut-il craindre une bulle IA ?

C'est sur l'évaluation des risques qui pèsent sur la stabilité financière que les avis des participants officiels et du secteur privé ont divergé le plus. Un consensus surprenant s'est dégagé concernant la possibilité d'une « bulle IA » sur les marchés boursiers américains. Néanmoins, la plupart des participants du secteur privé pensent qu’elle n’en est qu’à ses débuts (et la voient donc comme une opportunité d'achat).

À l'inverse, les fissures apparues sur les marchés du crédit, au moment où se tenaient les réunions, ont relativement peu retenu l'attention du secteur public. Celui-ci s'est plutôt concentré, à l'instar de l'analyse du FMI, sur les niveaux élevés et croissants de la dette publique dans la plupart des économies avancées. Ce sujet n'a, en revanche, pas été abordé lors des réunions du secteur privé. Dans ce contexte, Raghuram Rajan, ex-gouverneur de la banque centrale indienne et ex-économiste en chef du FMI, a été le seul à appeler les banquiers centraux à éviter de conduire la politique monétaire avec des œillères au risque de conduire à un assouplissement excessif, à un moment où l'abondance des liquidités fait grimper les prix de pratiquement tous les marchés d'actifs à travers le monde.[2]

Trois changements tectoniques

Les institutions financières non bancaires (IFNB)

Parallèlement aux sujets de stabilité financière cyclique, les décideurs des politiques économiques ont accordé une attention particulière au rôle croissant des « institutions financières non bancaires » (IFNB) dans l'intermédiation financière, et ses implications.

Cette évolution est désormais reconnue par ces mêmes autorités comme une conséquence fortuite du resserrement mondial des réglementations bancaires qui a suivi la crise financière mondiale de 2008. Si les implications réglementaires restent à déterminer, des divergences apparaissent entre les juridictions quant à leur volonté de reconsidérer ces réglementations. L'un des principaux sujets de préoccupation soulevés porte sur les relations entre les IFNB et les banques, qui devraient faire l'objet d'une attention accrue à l'avenir.

Une nouvelle ère géoéconomique

Après des décennies d'une architecture géopolitique mondiale stable et claire, il était généralement admis que les relations économiques et géopolitiques se déroulaient dans des univers parallèles. Il était ainsi courant de développer des relations économiques sans prêter beaucoup d'attention, voire aucune, aux aspects géopolitiques. Aujourd'hui, cette architecture s'est effondrée et les deux dimensions sont étroitement imbriquées sans qu’un retour en arrière soit possible. Ce diagnostic étant largement partagé par les participants aux réunions, trois questions centrales ont été identifiées :

1) États-Unis-Chine : les deux superpuissances sont engagées dans une compétition stratégique à haut risque qui, si elle est mal gérée, pourrait entraîner de lourds dommages bilatéraux et collatéraux. Elles doivent de toute urgence fixer des limites, clarifier leurs objectifs respectifs et préserver un minimum d'espace politique pour collaborer lorsque cela est essentiel.

2) Le compromis entre souveraineté économique et efficacité : le pendule est en train d’osciller avec force, passant de l'efficacité à la souveraineté dans l'élaboration des politiques économiques nationales à travers le monde. Mais les politiques qui visent la souveraineté économique sans tenir compte de l'efficacité, et donc de la croissance, sont vouées à l'échec. Il est donc essentiel de travailler avec des alliés (pour préserver les économies d'échelle).

3) L'avenir du multilatéralisme : l’expression « Malmené et meurtri, mais pas brisé » a souvent été entendue à Washington la semaine dernière. Il est rassurant de constater que la plupart des décideurs économiques du monde sont pleinement conscients que la collaboration est plus essentielle que jamais pour relever les plus grands défis de notre époque, du changement climatique aux pandémies en passant par les risques existentiels liés à l'IA. Et, à Washington, ils ont clairement manifesté leur volonté de s'engager et de réformer les institutions existantes lorsque cela est nécessaire (notamment l'OMC).

Les stablecoins

Le plus récent des trois bouleversements en cours est à la croisée de la géopolitique et de la finance. La finance basée sur la blockchain figure à l'ordre du jour des réunions du FMI depuis déjà plusieurs années, mais elle est passée de sujet d’arrière-plan à sujet de premier ordre depuis l'adoption de la loi GENIUS aux États-Unis en juillet dernier, et en particulier son objectif explicite de consolider le rôle dominant du dollar dans le système financier international. Les participants ont pris conscience du fait que le volume de stablecoins avait été multiplié par 100 au cours des cinq dernières années et que ces jetons numériques avaient un potentiel de disruption majeur :

- en faisant de la finance sur blockchain un produit grand public (en fournissant les liquidités natives qui faisaient défaut jusqu'à présent) ;

- en mettant au défi, et peut-être même en définitive en remplaçant, les prestataires de services de paiement traditionnels (en particulier pour les paiements internationaux) ;

- en facilitant le financement d'activités illicites ;

- en compromettant la capacité d'autres pays à appliquer des contrôles des capitaux, voire dans des cas extrêmes à mener leur politique monétaire.

Au cours de sessions bondées organisées dans toute la ville, les décideurs économiques, les émetteurs de stablecoins, les représentants des fintechs et de la finance traditionnelle ont débattu de la multitude de questions nouvelles que soulèvent les stablecoins, en matière de confiance dans la monnaie, de souveraineté, de stabilité financière et d'avenir de la finance elle-même[3].

Dans l'ensemble, nous sommes entrés dans une période compliquée comme l’indique la déclaration finale du CMFI : « L'économie mondiale connaît une profonde transformation et fait face à une incertitude accrue qui entraîne des défis, mais aussi des opportunités ». Mais il est rassurant de constater que la grande majorité des décideurs économiques et des responsables financiers présents aux réunions sont pleinement conscients des enjeux et désireux d’agir en conséquence.


[1] Voir : Chair’s Statement Fifty-Second Meeting of the IMFC - Mr. Mohammed Aljadaan, Minister for Finance of Saudi Arabia

[2] Voir « Les banques centrales pourraient-elles assouplir trop leur politique monétaire ? », Raghuram Rajan, Financial Times, 17 octobre 2025.

[3] Les stablecoins et les mérites oubliés des réserves fractionnaires, par Laurent Quignon (EcoWeek du 13 octobre 2025).

Notre expert
Isabelle Mateos y Lago
Cheffe économiste du groupe BNP Paribas et directrice des Études Économiques

Tags :

Economie mondiale
Restez informés

Je souhaite recevoir mensuellement les actualités BNP Paribas Banque Privée sur l’investissement

Votre inscription à la newsletter

Nous vous en remercions et espérons que cette newsletter vous donnera entière satisfaction.Après avoir accepté via le bouton ci-dessus, vous aller recevoir un mail de confirmation. La bonne réception de ce message vous assurera de celle des suivants.


En cliquant sur j’accepte, vous donnez votre consentement pour que BNP Paribas, responsable de traitement, utilise votre adresse email ci-dessus afin de vous adresser par email une fois par mois les actualités BNP Paribas Banque Privée sur l’investissement.

Vous pouvez retirer à tout moment votre consentement grâce au lien intégré dans nos communications ou en exerçant vos droits sur mabanqueprivee.bnpparibas. Votre adresse email est conservée pour la durée de l’abonnement et supprimée automatiquement au bout de 2 ans à compter du dernier contact à votre initiative. Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, à la portabilité de vos données ainsi que du droit à la limitation du traitement de vos données. Vous disposez également du droit de définir des directives relatives à la conservation, l’effacement ou la communication de vos données personnelles, applicables après votre décès. Les informations sur les traitements de vos données personnelles et comment exercer vos droits figurent dans la Notice Protection des Données Personnelles [Notice_Protection_Donnees_Personnelles.pdf (mabanqueprivee.bnpparibas)]