Les projections de taux d’intérêt (« dots ») des membres du FOMC constituent un élément de référence pour les investisseurs et les agents économiques en général quand il s’agit de formuler des anticipations de taux d’intérêt. Elles peuvent être tout particulièrement utiles lorsque l’environnement monétaire connaît une évolution rapide, comme ce fut le cas ces deux dernières années. En comparant les projections de taux des fonds fédéraux, issues de l’enquête auprès des opérateurs de marché (Survey of Market Participants, SMP), et celles des membres du FOMC, il semble que ces dernières jouent un rôle-clé dans l’ancrage des anticipations à long terme de taux d’intérêt. Les prévisions du secteur privé suivent de près les dots pour 2023, dans une moindre mesure pour 2024 et restent essentiellement stables au-delà. L’évolution de ces prévisions revêt une importance particulière dans la mesure où elle peut avoir une influence sur la fixation des prix des obligations. De plus, il semble que, dans la phase initiale du cycle de resserrement, la volatilité des taux d’intérêt ait été plus élevée dans la zone euro qu’aux États-Unis. La BCE devrait-elle alors commencer à publier les projections de taux d’intérêt des membres de son Conseil des gouverneurs?
Une communication transparente fait désormais partie intégrante de la politique d’une banque centrale. Il est loin le temps où les conférences de presse n’existaient pas et où le sens des déclarations des autorités monétaires échappait aux non-spécialistes. La Réserve fédérale et la Banque centrale européenne ont redoublé d’efforts afin de livrer une communication claire et dénuée de tout jargon technique pour que chacun puisse comprendre son action.
Une telle approche, essentielle à l’ancrage des anticipations d’inflation – un objectif intermédiaire important de la politique monétaire –, renforce l’efficacité de la transmission monétaire. La publication des projections économiques s’inscrit dans cet effort de communication avec néanmoins des différences notables d’une banque centrale à l’autre. La BCE publie ainsi les projections de ses services sur d’importantes variables macroéconomiques – mais pas sur les taux d’intérêt – tandis que la Réserve fédérale ne rend publiques les prévisions de ses équipes que cinq ans plus tard[1]. Elle publie, par ailleurs, quatre fois par an les projections des membres du FOMC – un document intitulé « Synthèse des projections économiques » (Summary of Economic Projections, SEP) - sur la croissance du PIB, l’inflation, le taux de chômage et le taux des Fed funds. Ces projections sont des prévisions « conditionnelles » puisqu’elles se fondent sur des hypothèses de trajectoire de la politique monétaire[2].
La Réserve fédérale fait partie des quelques banques centrales qui publient leurs projections de taux d’intérêt. Ces projections peuvent être très utiles lorsque l’environnement connaît une évolution rapide, comme ce fut le cas au cours des deux dernières années avec la remontée significative et durable de l’inflation, qui a obligé les banques centrales à prendre des mesures énergiques. Dans un tel contexte, les projections de taux d’intérêt publiées par la banque centrale peuvent servir d’élément de référence et ainsi aider les investisseurs et les agents économiques en général à établir leurs propres anticipations de taux d’intérêt.
Les graphiques 1 à 4 présentent les projections des membres du FOMC relatives aux taux des fonds fédéraux à l’horizon fin 2023, 2024 et 2025, puis à plus long terme. L’axe des abscisses indique la date à laquelle ces projections ont été publiées. Pour déterminer dans quelle mesure elles sont corrélées aux prévisions du secteur privé, les graphiques affichent également les résultats de l’enquête auprès des opérateurs de marché (Survey of Market Participants, SMP)[3]. Cette enquête est réalisée par la banque de la Réserve fédérale de New York avant chaque réunion du FOMC. Les opérateurs interrogés - environ 26 - sont des investisseurs institutionnels. Cela signifie que leurs anticipations de taux des fonds fédéraux devraient influencer leurs décisions d’investissement et, par conséquent, la dynamique du marché.
Avec le resserrement de la politique monétaire et la révision à la hausse des projections des membres du FOMC pour fin 2023 – remontée des dots -, les investisseurs institutionnels ont également relevé leurs anticipations. Les membres du FOMC ont aussi revu en hausse leurs projections pour fin 2024 mais cela a eu beaucoup moins d’impact sur les anticipations du secteur privé. Cela peut s’expliquer par des doutes concernant la détermination de la Fed face à l’inflation[4], par un plus grand pessimisme sur les perspectives économiques ou encore une opinion plus optimiste sur le rythme de la désinflation.
Malgré des relèvements énergiques des taux d’intérêt, les prévisions des opérateurs du marché pour fin 2025 ont été remarquablement stables par rapport aux projections des membres du FOMC, qui ont d’abord augmenté puis reculé. À plus long terme, les projections officielles et privées sont restées très stables. Cela semble indiquer que les dots du FOMC pourraient jouer un rôle dans l’ancrage des anticipations de taux d’intérêt à long terme.
Afin de creuser cette question, le graphique 5 établit une comparaison entre les États-Unis et la zone euro où la BCE ne publie pas les projections de taux d’intérêt des membres de son Conseil des gouverneurs. En l’absence d’un tel élément de référence, on pourrait donc s’attendre à ce que les prix des marchés financiers fluctuent davantage qu’aux États-Unis. À la place des rendements obligataires, qui peuvent être influencés par les fluctuations de la prime de terme, le graphique 5 utilise le taux forward instantané dans sept ans. Ce taux peut être interprété, d’un point de vue économique, comme la représentation des anticipations du taux au jour le jour dans sept ans[5]. Le graphique 5 montre l’écart-type glissant de ce taux aux États-Unis et dans la zone euro.
Entre mars et novembre 2022 – période correspondant à une réorientation fondamentale de la politique monétaire dans les deux juridictions – le taux forward instantané a été plus volatil dans la zone euro qu’aux États-Unis, même si les hausses cumulées du taux directeur ont été plus importantes dans ce dernier cas. Peut-être faut-il y voir la contribution des projections des membres du FOMC à l’ancrage des anticipations de taux d’intérêt aux États-Unis. Dans un deuxième temps, les deux écarts-types ont eu un comportement similaire, en termes de niveau et de direction (tendance à la baisse), ce qui pourrait traduire l’opinion du marché selon laquelle l’essentiel du resserrement a déjà eu lieu.
Pour conclure, l’observation faite aux États-Unis – des prévisions du secteur privé qui suivent de près les dots en 2023, qui ne le font que partiellement en 2024 et restent essentiellement stables au-delà – revêt une importance particulière dans la mesure où l’évolution de ces prévisions pourrait influencer la fixation des prix des obligations[6], un élément déterminant pour les coûts de financement des secteurs privé et public, qui peut aussi affecter la stabilité financière (volatilité du marché obligataire). De plus, il semble que, dans la phase initiale du cycle de resserrement, la volatilité des taux d’intérêt ait été plus élevée dans la zone euro qu’aux États-Unis. Cette double constatation pose la question suivante : la BCE doit-elle commencer à publier les projections de taux d’intérêt des membres de son Conseil des gouverneurs ?
[1] Elles sont regroupées dans le Tealbook (préalablement appelé « Greenbook ») par la banque de la Réserve fédérale de Philadelphie.
[2] Pour désigner les projections du taux cible des fonds fédéraux, les observateurs de la Fed parlent de « dots ». Ceux-ci correspondent au taux que les membres du FOMC considèrent approprié compte tenu de l’environnement économique, des perspectives et du mandat de la Réserve fédérale.
[3] Les dates du SEP correspondent à celles des réunions du FOMC et les dates de l’enquête SMP à celles auxquelles la Réserve fédérale reçoit les réponses des participants à l’enquête.
[4] La validité de cet argument est probablement limitée étant donné que les anticipations d’inflation basées sur le marché – en l’occurrence, sur le point mort d’inflation intégré dans les TIPS – évoluent à la baisse depuis le printemps 2022.
[5] La courbe de taux permet de calculer les taux forward , p. ex. le rendement (taux) d’une obligation (emprunt) à 1 an dans 7 ans. On peut retenir des échéances plus courtes ou plus longues pour cette obligation (emprunt). « A la limite, au moment où la durée de l’emprunt considéré tend vers zéro, nous aboutissons au taux forward instantané ». Source : Banque d’Angleterre, Yield curve terminology and concepts.
[6] D’après la théorie des anticipations de taux d’intérêt, le rendement d’une obligation à long terme de maturité donnée correspond aux anticipations de taux d’intérêt à court terme sur la même maturité.
Source : Etudes Economiques – BNP Paribas