Résumé
- Le 19 janvier 2023, la dette publique américaine a atteint le plafond légal. Le Trésor ne peut donc plus emprunter de l’argent. Il ne peut plus compter que sur sa trésorerie et sur certains mécanismes comptables pour rester en dessous du plafond de la dette et éviter un défaut de paiement, qui pourrait se produire dès le 1er juin selon la secrétaire au Trésor, Janet Yellen.
- Le Congrès doit relever ou suspendre le plafond de la dette afin d'éviter un défaut, mais les Démocrates et les Républicains sont jusqu'à présent divisés.
- Le bras de fer politique génère des tensions sur les marchés. Les CDS américains se sont envolés et la courbe des billets du Trésor affiche des dislocations sur les maturités de début juin. Les billets à court terme sont attractifs car nous ne pensons pas que le Trésor manquera un paiement.
- Les autres classes d'actifs ne montrent pas de signes de tension particuliers : les actions ne s'effondrent pas et l'or ne s’envole pas.
- Lorsque le Congrès aura trouvé une solution, les taux du marché monétaire devraient se tendre.
- Si le Congrès ne parvient pas à un accord avant que le Trésor ne soit à court de liquidités, les États-Unis feront défaut sur leur dette, déclenchant des turbulences majeures sur les marchés financiers à travers le monde, et la Fed ne sera pas capable d'en limiter l'impact.
Qu’est-ce que le plafond de la dette ?
Le plafond de la dette a été établi en 1917. L'objectif était de permettre au Trésor américain de lever de la dette sans l'autorisation préalable du Congrès, tant que la dette totale resterait inférieure à un certain plafond. Depuis lors, le plafond a été relevé 95 fois grâce à des négociations politiques parfois tendues et souvent à la toute dernière minute.
Si le Congrès ne parvient pas à relever ou à suspendre le plafond de la dette, le gouvernement américain ferait défaut sur ses obligations, ce qui engendrerait inévitablement un chaos financier mondial. Cela reste extrêmement improbable compte tenu des conséquences d'un tel événement. Aucun parti ne voudrait en être responsable. Les États-Unis n'ont pas de problème de soutenabilité de leur dette à moyen terme.
Les États-Unis ont-ils atteint le plafond de la dette ?
Oui. Le 19 janvier, la dette publique a atteint le plafond légal de 31400 milliards de dollars. Par conséquent, depuis cette date, le Trésor ne compte plus que sur son compte courant (le Treasury General account - TGA) et sur certaines manœuvres comptables (appelées « mesures extraordinaires ») pour rester en dessous du plafond de la dette et éviter un défaut.
A titre de mesures extraordinaires, le Trésor a, par exemple, suspendu de nouveaux investissements et en a racheté d’autres existants dans le Fonds de retraite et d'invalidité de la fonction publique et le Fonds des prestations de santé des retraités de la fonction postale.
Quelle est la X-date ?
La X-date correspond au jour où le compte courant du Trésor américain et les mesures extraordinaires sont épuisés et où le gouvernement fait défaut sur ses obligations. Janet Yellen, secrétaire au Trésor, pense que ce pourrait être le 1er juin. Cependant, il est impossible de connaitre avec certitude la X-date, car elle dépend du compte courant du Trésor qui, à son tour, dépend des fluctuations quotidiennes des recettes fiscales, des dépenses et des emprunts. Une croissance économique supérieure aux attentes et l'augmentation des recettes fiscales pourraient retarder un défaut, tandis qu'une diminution des recettes fiscales (ou davantage de remboursements d'impôts) pourrait entraîner un défaut plus tôt que prévu.
Que peut faire le Congrès pour éviter un défaut sur la dette américaine ?
Le Congrès doit augmenter ou suspendre le plafond de la dette afin d'éviter un défaut. Pour les Démocrates, comme l'a dit le président Biden, "le relèvement du plafond de la dette n'est pas une négociation, c'est une obligation pour le pays". Pour les Républicains, tout relèvement du plafond de la dette doit s'accompagner d'importantes réductions des dépenses, notamment en ce qui concerne le programme d'énergie propre du président Biden, comme l'élimination de l’effacement de la dette étudiante et l'abrogation de la plupart des nouvelles incitations fiscales aux énergies renouvelables codifiées dans la loi sur la réduction de l'inflation. Les Démocrates et les Républicains doivent trouver un compromis. Aucun d'entre eux ne voudrait être tenu pour responsable d'un défaut souverain potentiel ou d'un «shutdown», surtout quand l’élection présidentielle et les élections au Congrès sont proches (novembre 2024).
Existe-t-il des solutions pour retarder la X-date ?
Il y a quelques failles qui peuvent être utilisées pour retarder la X-date, mais elles ne sont pas sans conséquence.
La plus discutée est que le Président pourrait évoquer le 14e amendement qui stipule que la validité de la dette publique des États-Unis ne doit pas être remise en question. Certains soutiennent que la menace d'un défaut remettrait en question la validité de la dette publique américaine, d'où la possibilité pour le président Biden de contourner le Congrès et d'autoriser de nouvelles émissions de dette. Une telle décision provoquerait inévitablement une crise constitutionnelle, impliquant la Cour suprême et créant une instabilité financière.
Une autre tactique possible concerne la possibilité qu’a le Trésor de frapper une pièce de platine de 1000 milliards de dollars, la déposer sur son compte courant à la Fed (si la Fed l'accepte), puis utiliser ces fonds pour financer ses activités.
Pour contourner le plafond de la dette, le Trésor pourrait également émettre, par exemple, une obligation de 1000 dollars assortie d'un coupon nettement supérieur à ce qu'il devrait être par rapport aux prix actuels de marché. Cette obligation pourrait donc être émise pour plus de 1000 dollars en remplacement d’une autre de 1000 dollars qui arrive à échéance. Ainsi, le Trésor aurait levé plus d'argent sans augmenter la dette.
Ces solutions pour retarder la X-date ne sont pas optimales du tout, car elles peuvent être contestées devant les tribunaux. La meilleure façon est que l'administration Biden assigne des priorités aux dépenses de manière à retarder temporairement certaines d’entre elles afin de retarder un peu la X-date.
Quel est l'impact sur les marchés financiers à ce jour ?
Les mouvements notables à ce jour sont la forte hausse des Credit Default Swaps (CDS - une protection contre le risque de défaut), la dislocation du marché des billets du Trésor (les T-Bills sont des emprunts d'État américains dont l’échéance est entre 4 et 52 semaines) et, dans une certaine mesure, la faiblesse du dollar. Les autres classes d'actifs ne montrent pas de signes de tension particuliers, par exemple les actions ne s'effondrent pas et l'or ne s’est pas envolé.
Pourquoi le CDS est-il si élevé ?
Les Credit Default Swaps (CDS) sont des instruments financiers de couverture contre le risque de défaut. Ils peuvent également être des outils de spéculation. Le CDS à 1 an aux États-Unis a atteint un nouveau point haut historique à 166 points de base le 16 mai. Cela coûte donc 16600 euros pour assurer un emprunt d'État d’1 million de dollars contre un risque de défaut. À titre de comparaison, durant la crise du plafond de la dette de 2011, assurer une obligation d’1 million ne coûtait que 8000 euros.
Cependant, cela ne signifie pas que la probabilité de défaut dérivée des prix de marché est plus élevée en 2023 qu’en 2011. En effet, la probabilité de défaut dépend non seulement du niveau des CDS mais aussi du prix de l'obligation la moins chère à livrer (cheapest-to-deliver) quelle que soit la maturité. Comme la Fed a relevé ses taux à un rythme très rapide depuis 2022, les prix des obligations se sont effondrés. Le cours de l'obligation la moins chère à livrer est désormais beaucoup plus bas (Treasury 1,25% 15/05/2050 à 56,4% le 15 mai) qu'en 2011 (87,7%). Ainsi, même si le niveau actuel des CDS est spectaculairement élevé, il implique un risque de défaut de seulement 3,8% alors qu'il était de 6,5% en 2011.
Qu'advient-il des billets du Trésor ?
La courbe des billets du Trésor américain présente des dislocations sur les échéances de début juin, indiquant quand les investisseurs sont les plus inquiets d’un risque de défaut. Les investisseurs averses au risque et les gérants de fonds monétaires ont accumulé des billets du Trésor arrivant à échéance avant la X-date (le 1er juin, selon Janet Yellen, Secrétaire au Trésor), entraînant une chute de leur rendement en dessous de 3,5%.
D'autre part, les billets du Trésor arrivant à échéance vers la X-date ont vu leur rendement grimper en flèche. Le T-bill à échéance 6 juin offre un rendement de 5,3%. En comparaison, un billet du Trésor arrivant à échéance un mois plus tard génère un rendement inférieur (5%). Les billets du Trésor américains sont attractifs dans la mesure où nous ne pensons pas que les États-Unis vont rater un paiement ou faire défaut.
Quel impact sur les obligations d'entreprises ?
L'impact sur le crédit a été limité jusqu'à présent, les participants estimant faible la probabilité d'un événement de crédit. Par ailleurs, aucun signe particulier de tension n'a été relevé dans le passé, hormis en août 2011, lorsque les spreads de crédit se sont nettement élargis, mais cela était plus dû à l’agence de notation S&P qui a dégradé la note souveraine des États-Unis, qu’au blocage du relèvement du plafond de la dette en lui-même.
Il convient de noter que S&P a abaissé la notation de crédit des États-Unis de AAA à AA+ en août 2011, compte tenu de la résistance aux nouvelles mesures de recettes fiscales et au scepticisme quant aux conséquences graves d'un défaut de paiement de la part de nombreux responsables politiques durant les négociations sur le plafond de la dette. Nous supposons que les responsables politiques américains ont retenu la leçon, que les agences de notation ne dégraderont pas la note des États-Unis et que les spreads de crédit ne s'élargiront que modérément, non pas en raison des discussions sur le plafond de la dette, mais parce que la politique monétaire est restrictive.
Quel impact sur l'économie ?
Un blocage prolongé pourrait se traduire par une fermeture partielle/temporaire des administrations publiques (shutdown) et un ralentissement de la croissance économique, à un moment où les craintes de récession sont élevées. Les administrations non essentielles, comme les parcs fédéraux et les musées, ne seraient pas en mesure d'ouvrir et les fonctionnaires ne seraient pas payés (dans le passé, ils recevaient leur salaire après l'adoption du budget). Le Bureau du Budget du Congrès américain a estimé que le shutdown partiel de cinq semaines fin 2018 avait réduit la croissance du PIB (non annualisée) d'environ 0,06% par semaine.
Que se passera-t-il lorsque le plafond de la dette sera enfin relevé ?
Lorsque le Congrès parviendra à une solution, le Trésor devra reconstituer son solde de trésorerie. Nous anticipons donc une vague massive d'émissions de billets du Trésor d'environ 500 milliards de dollars, de sorte que le compte courant du Trésor revienne vers les 600 milliards de dollars.
Une augmentation du compte courant du Trésor se traduit par un retrait des liquidités des marchés privés. Cette contraction de la liquidité, associée à d'importantes émissions nettes de billets du Trésor au T4, devrait entrainer une hausse des taux du marché monétaire.
Que se passera-t-il si le Congrès ne parvient pas à un accord après la X-date ?
Bien que nous considérions ce scénario comme très peu probable, si les États-Unis ratent un paiement sur leur dette, cela entraînera un défaut de paiement. Les États-Unis bénéficieront d'une période de grâce de 3 jours pour honorer leur obligation de paiement. S'ils ne le font pas, cela sera considéré comme un événement de crédit et les titulaires de CDS auront leurs obligations remboursées au pair, en EUR, pas en USD. Un défaut aura des conséquences inimaginables sur les marchés financiers mondiaux, entraînant très probablement un effondrement du dollar, des marchés actions, des marchés obligataires... et ainsi de suite. L'or pourrait bien être le seul vrai gagnant dans un tel scénario catastrophique.
La Fed peut-elle faire quelque chose dans le pire des scénarios ?
Non. Le président de la Fed a déclaré que la Fed ne pouvait pas protéger l'économie contre les conséquences d’un défaut de paiement. Officiellement, la Fed ne veut pas être impliquée dans les discussions sur les plans d'urgence.
L'hypothèse de base (selon la transcription du FOMC d'août 2011, lorsque les négociations sur le plafond de la dette étaient dans l'impasse) était que le principal et les intérêts sur les titres du Trésor continueraient d'être payés « à temps » et que d'autres paiements pourraient être retardés. Cela devrait également être le cas en 2023. On peut toutefois se demander comment le Trésor parviendra à trier et prioriser les paiements puisqu’il en traite en moyenne 80 millions chaque jour (moyenne estimée en 2011).