Edmund Shing, Global Chief Investment Officer
Points-Clés
1.Le ralentissement de l'inflation s’accentue : l'inflation globale diminue et revient vers des niveaux plus raisonnables grâce notamment au logement, à la baisse de la demande des ménages, au recul des importations chinoises de biens ainsi que la détente des prix alimentaires et des coûts énergétiques. Le recul de l'inflation devrait soutenir les prix des obligations.
2.À quoi s’attendre après le pic des taux des banques centrales ? La Banque d'Angleterre s'est jointe à la Fed pour suspendre ses hausses de taux, les taux d'inflation ayant surpris à la baisse. Bien que les banques centrales réitèrent leur discours de « hausse sur le long terme », nous pensons que la Fed devrait réduire ses taux en juin 2024.
3.Les rendements obligataires américains poursuivent leur ascension : le marché obligataire peine à absorber le flot d’émissions de bons du Trésor américains - la Fed et les investisseurs étrangers délaissent en effet ces titres et les acteurs locaux préfèrent les obligations à duration courte et à rendement plus élevé. La hausse des rendements offre toujours une opportunité intéressante pour la constitution de portefeuilles obligataires sur le long terme.
4.Les prix du pétrole ne devraient pas dépasser les 100 $ : les réductions des quotas de l'OPEP+ et la hausse de la demande mondiale ont fait grimper le Brent de 30 % par rapport aux points bas du mois de juin. Mais une hausse trop importante des prix pourrait déclencher une récession mondiale et nuire à la demande d’or noir. Par conséquent, les prix actuels du pétrole sont très favorables à l'OPEP+. Nous privilégions les fonds « value » européens et globaux.
5.Les actions japonaises sont soutenues par la hausse des rendements obligataires et l'affaiblissement du yen : les actions japonaises se sont distinguées cet été. Les valeurs financières bénéficient de rendements obligataires plus élevés, tandis que les exportateurs tirent parti d'un yen encore plus faible. Nous continuons de privilégier les actions japonaises, avec un biais « value ».
Banques centrales : les taux d'intérêt ont-ils atteint un pic ?
Il s’agit d’une question cruciale. Au cours des 12 derniers mois, les banques centrales du G7 ont rapidement relevé leurs taux directeurs, des États-Unis à la zone euro en passant par le Royaume-Uni.
Rappelons qu'il y a un peu plus de 12 mois, les taux d'intérêt étaient proches, voire inférieurs, à zéro dans ces mêmes zones. Aujourd’hui, ils oscillent entre 4 % au sein de la zone euro et 5,5 % aux États-Unis, soit une hausse historique dans un laps de temps très court.
Mais le pic semble avoir été atteint. Au cours de la semaine écoulée, le Royaume-Uni a surpris par sa décision de ne pas relever ses taux d'intérêt, actuellement à 5,25 %. Il en va de même pour les États-Unis. Et bien que la BCE ait relevé ses taux d'intérêt à 4 %, nous pensons qu’il s'agit de la dernière hausse en raison du ralentissement économique, et ce quelles que soient les déclarations des banquiers centraux.
Il ne faut pas oublier le but recherché par les banques centrales lorsqu’elles relèvent leurs taux : contenir l'inflation (actuellement supérieur à l’objectif de 2%), ce qui a comme premier effet d’impacter d’abord l'activité économique. Par ce mécanisme, les banques centrales cherchent ainsi à calmer la demande des ménages et des entreprises, afin de contenir l'inflation en conséquence.
Et cela fonctionne, l'activité économique marque le pas partout. Dans la zone euro, les indicateurs avancés d’activité suggèrent que l'économie est déjà au bord de la récession.
C'est pourquoi nous maintenons notre opinion désormais hors consensus selon laquelle l'économie américaine va non seulement ralentir, mais aussi entrer dans une légère récession en début d'année prochaine. Il s’agit de la première étape de notre scénario.
L'inflation reste orientée à la baisse
La deuxième étape concerne l’inflation. Si l’on regarde l’IPC (indice des prix à la consommation) américain, les taux d'inflation ont déjà ralenti à environ 3 % aux États-Unis. Ce repli a été plus tardif au Royaume-Uni et en Europe, même si la tendance baissière se confirme. L'objectif de 2 % se rapproche bien qu’il ne soit pas encore atteint
Les principales composantes de l'inflation, telles que les coûts du logement, de l'énergie et de l'alimentation, sont orientées à la baisse. Nous commençons également à importer de la déflation dans les biens, notamment en provenance de Chine. Avec l'affaiblissement des marchés de l'emploi, la croissance des salaires devrait ralentir, ce qui devrait à son tour freiner l'inflation dans le secteur des services.
Conclusion en matière d’investissement
1.L'activité économique a ralenti ou est en train de le faire assez nettement, notamment sur le front des marchés de l'emploi.
2.L'inflation devrait rester orientée à la baisse au sein des principales économies, avec un potentiel rattrapage dans ce sens au Royaume-Uni et dans la zone euro.
3.Cela pourrait être une bonne nouvelle pour les investisseurs obligataires. En effet la baisse de l'inflation (et en particulier la baisse des anticipations d'inflation) est favorable aux investisseurs obligataires car elle se traduit généralement par des rendements plus faibles et des prix plus élevés.
Tendances macroéconomiques : vers une stagnation.
Quelle est la gravité du ralentissement de l'économie européenne ?
La hausse des rendements obligataires américains reflète en partie la croissance étonnamment forte enregistrée cette année, combinée à un marché de l'emploi tendu. Cette tendance se traduit désormais par des pressions en faveur d'une hausse des salaires et des avantages sociaux, comme on a pu le constater avec la grève du syndicat des ouvriers de l’automobile (UAW) qui a impacté les usines américaines.
L'Europe vit un tout autre contexte. Malgré une bonne résistance face à la crise du gaz l’hiver dernier et des niveaux d'emploi record, la confiance des ménages et des entreprises a fléchi du fait de taux d'inflation et de coûts d'emprunt toujours plus élevés.
La faiblesse de la consommation des ménages européens contraste fortement avec la situation aux États-Unis, où l'excès d'épargne et la forte croissance des salaires ont soutenu la consommation à des niveaux élevés, au moins jusqu’à présent. Plus important encore, l'IPC américain s'établit à 3,7 % au mois d'août, soit un niveau nettement inférieur au taux de 5,2 % de la zone euro. Les salariés américains voient donc augmenter leur pouvoir d'achat après inflation, ce qui n'est pas encore le cas en Europe.
Notons également le puissant stimulus budgétaire injecté dans l'économie américaine par l'administration Biden. Il s’agit là d’un moteur significatif pour les investissement des entreprises.
Stabilité économique en vue
Il semble évident que la transmission de la hausse des taux d'intérêt de la BCE à l'économie européenne a eu un effet immédiat plus efficace que celle de la Réserve fédérale américaine. Le crédit hypothécaire et l’activité dans le secteur immobilier se sont effondrés, tout comme les volumes de nouveaux prêts aux entreprises. L'inflation continue d'affecter davantage les ménages en Europe, alors qu'il n'existe pas de mesures de relance massives pour stimuler l'investissement, comme on l’observe aux États-Unis.
Cependant, des signaux économiques plus récents laissent penser que le pire pourrait être passé en Europe. Les indicateurs de l'activité économique, tels que l'indice allemand IFO (climat des affaires) et l'indice Eurocoin (indicateur de situation économique fourni par la Banque d’Italie), suggèrent tous deux une stabilité, voire une légère reprise économique, en août et en septembre. Les indices de surprise économique laissent entrevoir une amélioration de la dynamique de l'économie mondiale, généralement suivie par la zone euro.
Ce début de stabilité, voire ce rebond, reste tributaire de la stabilité des taux d'intérêt à court et long terme et de la baisse continue de l'inflation globale en Europe. Nous sommes optimistes quant à l'émergence de ces deux tendances jusqu’à la fin d'année, ce qui devrait permettre à l'Europe d'échapper à la récession.
Conclusion en matière d’investissement
En Europe, les taux d'intérêt élevés historiques et la baisse du pouvoir d'achat pèsent sur l'activité actuelle, nous rapprochant de la zone de récession. Cependant, attention au pessimisme excessif : l'emploi résiste, les prix de l'énergie fléchissent et les taux d'intérêt ont atteint un sommet.
L'inflation continue de ralentir : le recul de la demande des ménages, la baisse du prix des biens importés de Chine, le ralentissement des prix alimentaires et des coûts énergétiques pour les ménages devraient se traduire par une inflation générale plus proche de niveaux plus confortables. Le recul de l'inflation devrait finir par soutenir les prix des obligations.
Obligations : plus attractives aujourd’hui.
Le « temper tantrum » des obligations américaines
Dernièrement, les rendements obligataires ont réagi à A) une croissance supérieure aux attentes aux États-Unis et B) la confirmation par la Fed que les taux resteraient élevés pour longtemps. Le rendement des bons du Trésor américain à 2 ans a atteint 5,1 %, tandis que le rendement à 10 ans est monté à 4,6 %.
Les rendements à long terme augmentent pour des raisons simples : tout d'abord, le gouvernement américain a un déficit budgétaire important et croissant, ce qui l'oblige à emprunter plus et émettre ainsi davantage de bons du Trésor à court terme.
Ensuite, la Réserve fédérale a tendance à vendre des obligations plutôt qu’en acheter. Enfin, les investisseurs chinois et japonais n'achètent pas de bons du Trésor américain, dans la mesure où les rendements ajustés des variations de change ne leur semblent plus attractifs.
En l'absence de ces acteurs historiques dans l’obligataire américain, les investisseurs domestiques sont les clients privilégiés. Mais ces derniers préfèrent les obligations à court terme offrant des rendements supérieurs ou égaux à 5 % aux titres à plus long terme assortis de rendements plus faibles. Par conséquent, cela génère des pressions sur les rendements des obligations à long terme pour qu'ils se rapprochent de ceux à court terme, entraînant un aplatissement de la courbe des taux.
Pourquoi nous maintenons notre vue positive sur les obligations américaines
Plutôt que d'essayer d'identifier le moment idéal pour construire un portefeuille obligataire, nous cherchons à identifier un point d'entrée attractif sur la base d'un horizon d'investissement à long terme.
Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans pourraient encore augmenter légèrement à très court terme, mais ils devraient rester inférieurs à 5 %. Par ailleurs, nous privilégions davantage les obligations au sein de la poche de maturité 3-5 ans, dont les rendements atteignent 4,7 % -4,9 %.
D'un point de vue statistique, les rendements obligataires américains ont globalement reculé suite à la dernière hausse des taux d'intérêt par la Réserve fédérale américaine. Nous anticipons une légère baisse des rendements des obligations américaines à 10 ans au cours des 12 prochains mois, à 3,75 %. En tant qu'investisseur obligataire américain à l'heure actuelle, il est possible de capter un rendement de 4,7 % sur une obligation à 5 ans, mais nous anticipons également des hausses de prix modérées à l'avenir.
Selon JP Morgan, les rendements historiques des bons du Trésor américain se sont établis en moyenne à 25 % -36 % au cours des 2 années qui ont suivi la dernière hausse des taux de la Réserve fédérale dans les cycles de taux d'intérêt depuis 1981.
Conclusion en matière d’investissement
Le marché obligataire américain peine à absorber l’importante émission de bons du Trésor américain : la Fed et les investisseurs étrangers ne sont plus acheteurs, et les acheteurs nationaux préfèrent les obligations à duration courte, à rendement plus élevé, voire les fonds du marché monétaire.
Selon nous, les rendements à des points hauts de 10-15 ans continuent d'offrir une opportunité attrayante aux investisseurs prudents pour construire des portefeuilles obligataires sur le long terme.
Actions : une faiblesse uniquement saisonnière ?
Les actions ont vacillé durant l'été
Les mois d'août et de septembre sont traditionnellement les plus à risque pour les marchés d'actions. L'année 2023 n'a pas fait exception à cette règle : l'indice MSCI World a reculé de plus de 6 % depuis son point haut au début du mois d'août, et très peu de marchés d’actions ont échapper à la hausse des rendements obligataires.
Certains de nos marchés préférés ont relativement bien résisté cet été : le TOPIX japonais a même progressé de 2 % sur cette période, tandis que le FTSE 100 britannique n'a reculé que de 1 %. En revanche, les méga-capitalisations américaines FAANG ont perdu 12 % suite à des prises de bénéfices depuis leur sommet de mi-juillet, mais restent à +63 % depuis le début de l'année.
Depuis le début de l'année 2023, les actions mondiales enregistrent toujours des gains de 13 % en euros, tandis que l'Euro STOXX 50 est toujours en hausse de 11 %. Si l'on se réfère à octobre 2022, date à laquelle cette tendance haussière a commencé, l'Euro STOXX 50 a encore gagné 27 % dividendes inclus et l'indice MSCI World 12 % en euros.
Les corrections du marché sont toujours malvenues, mais il existe une lueur d’espoir : elles peuvent prolonger la durée d'un marché haussier en refroidissant les comportements irraisonnés.
La hausse des rendements obligataires est un facteur déterminant
Le recul actuel des actions s'explique principalement par deux facteurs :
a.La forte hausse des taux longs depuis fin juillet, entrainant une compression des ratios P/E ;
b.Les craintes grandissantes à l'égard de la stagnation de l'économie mondiale, alimentant un manque de confiance dans les prévisions de bénéfices des entreprises et donc de la hausse des BPA aux États-Unis et en Europe toujours attendue en 2024.
Les actions subissent des vents contraires avec la concurrence des taux monétaires plus élevés au sein de la zone euro, suite à la récente décision de la BCE de relever son taux de dépôt à 4 %.
En conséquence, les catalyseurs des marchés d'actions devraient donc être : A) la stabilité, voire la baisse, des rendements obligataires à long terme ; et B) des signes de stabilité, voire un léger rebond de l'activité économique en Europe et en Chine, renforçant la confiance dans les estimations de BPA.
Notre analyse des risques ne donne actuellement aucun signe d'alerte ; les indices des conditions financières en Europe et aux Etats-Unis ne montrent pas non plus de signes particuliers de tension. Nous recommandons donc la patience sur les actions, à l'aube d'un T4 plus favorable pour les actifs risqués.
Conclusion en matière d’investissement
Faîtes preuve de patience à l'égard des actions internationales, dans la mesure où nous nous attendons à ce que la crise obligataire actuelle se dissipe, entraînant à terme une baisse des rendements obligataires à long terme. Cela soutiendra les valorisations, qui restent bon marché par rapport à la moyenne historique dans la zone euro, au Royaume-Uni, les petites et moyennes capitalisations américaines et au sein des marchés émergents.
Les actions japonaises sont dopées par les niveaux de rendements plus élevés, l'affaiblissement du yen et la hausse de la rentabilité : le Japon a été le marché actions le plus remarquable au cours de l'été. Les valeurs financières bénéficient de la hausse de l'inflation et des rendements obligataires, tandis que les exportateurs tirent parti de la dépréciation du yen. Nous apprécions toujours les actions japonaises, avec un biais « value ».
Focus sur l'énergie : les prix du pétrole peuvent-ils dépasser les 100 $ ?
Les producteurs de pétrole redoutent de tuer la poule aux œufs d’or
Les prix mondiaux du pétrole brut ont bondi de 30 % au cours des 3 derniers mois, sous l’effet à la fois d'une offre limitée de l'OPEP+ et d'une demande mondiale robuste de pétrole.
A 97 USD/baril, le Brent dépasse de plus de 40 % sa moyenne sur 10 ans (de 68 USD) et constitue une manne pour les finances des nations productrices de pétrole dont les membres de l'OPEP, et bien sûr les Etats-Unis et la Norvège.
Les prix du pétrole brut pourraient-ils encore grimper à plus de 100 USD le baril à court terme ? Ce scénario nous semble peu probable, et ce pour plusieurs raisons :
a.La croissance économique mondiale devrait continuer de ralentir sur fond de ralentissement de l'activité aux États-Unis (les États-Unis représentent à eux seuls près de 20 % de la demande mondiale de pétrole), ce qui pourrait pénaliser la demande de pétrole.
b.Les pays de l'OPEP, comme l’l'Arabie saoudite, ne souhaitent pas que le prix du pétrole augmente au point de déclencher une récession mondiale, comme cela a été le cas en 1990 ou en 2008, pénalisant ainsi la demande finale et les prix ;
c.Le prix élevé du WTI stimule le forage de pétrole de schiste, favorisant à terme une hausse de la production américaine ;
d.Les prix du gaz naturel restent faibles aux États-Unis, offrant une alternative moins chère au mazout de chauffage.
La capacité de raffinage constitue le véritable goulot d'étranglement
Du fait des sanctions russes, l'offre de produits pétroliers raffinés tels que le diesel est relativement limitée en Europe. Compte tenu de l'absence de nouvelles capacités de raffinage et de la vigueur de la demande finale, les marges liées au raffinage de pétrole (les bénéfices de la transformation du pétrole brut en produits pétroliers finis) sont restées élevées depuis 2022.
Les sociétés américaines spécialisées dans le raffinage ont énormément tiré parti de cette contraction des capacités mondiales de raffinage depuis 2022. En Europe, ce dernier reste largement la chasse gardée des grandes entreprises intégrées du secteur de l'énergie, qui sont alors les principaux bénéficiaires de ces marges élevées. Nous pensons que les marges supérieures de ce domaine perdureront à moyen terme, soutenant la rentabilité du secteur de l'énergie.
Privilégier le facteur « value »
Les fonds d'investissement européens et internationaux et les ETF qui ciblent le facteur de valeur (en ciblant les entreprises moins chères que le marché actions dans son ensemble) ont tendance à surperformer lorsque l'inflation est supérieure à la moyenne. Le facteur « value » est généralement plus fortement pondéré dans des secteurs tels que l'énergie et la finance, secteurs que nous privilégions actuellement.
Cet article a été réalisé par notre réseau international BNP Paribas Wealth Management.