Face à la nécessité de trouver les financements nécessaires aux investissements massifs requis au titre des transitions énergétique et technologique, identifiés par Mario Draghi dans son rapport, et de la remobilisation européenne en matière de défense (Readiness 2030), la Commission européenne a dévoilé, le 19 mars dernier, sa stratégie pour l’« Union de l’épargne et des investissements » (UEI) dont la titrisation constitue un maillon essentiel. Le 17 juin dernier, la Commission a, en outre, proposé de nouvelles mesures pour relancer l’activité de titrisation dans l'UE tout en préservant la stabilité financière. Ces mesures constituent une bonne base pour relancer le marché de la titrisation. Pour autant, certains aspects gagneraient à être améliorés. Surtout, afin de ne pas freiner les investisseurs et relancer ce marché, il est crucial d’aligner les exigences en capital imposées aux titrisations avec celles relatives à d’autres actifs de risque comparable.
Pour mémoire, la titrisation, dans sa version dite « cash », est un mécanisme qui consiste, pour les banques, à regrouper des prêts en « paquets » relativement homogènes, puis à les céder à un véhicule de titrisation (Special Purpose Vehicle, SPV) qui les transforme, à son tour, en titres plus liquides (les parts émises par ledit véhicule) [1]. Une partie de ces titres est conservée au bilan de la banque originatrice, une autre partie est placée sur le marché auprès d’investisseurs institutionnels et acquise par d’autres banques. Les capitaux propres bancaires libérés dans le bilan de la banque originatrice, à la suite des cessions de prêts cédés, peuvent ainsi être réalloués au financement de nouveaux projets. Aujourd’hui, dans l’Union européenne, une part importante des titrisations est synthétique, c’est-à-dire que le risque est transféré mais l’actif sous-jacent, conservé dans le bilan de la banque originatrice.
Le bon grain sans l’ivraie
La titrisation présente plusieurs autres vertus : la diversification et la meilleure répartition du risque, l’accroissement de la liquidité qui facilite l’échange et la valorisation d’actifs auparavant peu liquides, la possibilité d’adapter le couple rendement-risque aux préférences des investisseurs (qui bénéficient de ce fait de davantage d’opportunités).
Ces caractéristiques font de la titrisation un outil puissant pour améliorer l’efficience des marchés, l’allocation de l’épargne et le potentiel de financement de l’économie. Elle doit être toutefois encadrée afin d’éviter l’aléa moral qui peut conduire certains « originateurs » à se défaire des « mauvais risques » ou à « originer » certains prêts dans le seul objectif de les placer auprès d’investisseurs. Pour éviter cet écueil et aligner les intérêts des originateurs avec ceux des investisseurs, le Comité de Bâle a recommandé, après la crise de 2008, l’obligation, pour la banque originatrice, de conserver dans son bilan au moins 5% des expositions titrisées. Cette recommandation a été traduite dans le droit européen dès 2011[2].
Plus largement, la titrisation a bénéficié dans l’Union européenne d’un cadre profondément remanié depuis 2019 visant à promouvoir une titrisation saine, qui ne soit pas une source potentielle d’instabilité financière. Malgré plusieurs tentatives de la Commission européenne de relancer la titrisation[3], l'histogramme des émissions est resté désespérément plat.
Émissions de titrisations comparées Europe* - États-Unis

Des mesures nécessaires mais non suffisantes
Forte de ce constat, la Commission a dévoilé le 17 juin dernier sa réforme du cadre législatif et règlementaire de la titrisation dans l'Union européenne.
Du côté de l’offre de titrisation, la proposition de la Commission améliore le calibrage prudentiel. Tout d’abord, elle diminue les charges de capital actuelles (via la diminution des facteurs p et des planchers de pondération des risques). Ensuite, elle introduit la sensibilité au risque (calcul du plancher de pondération des risques en proportion de la pondération des risques du portefeuille d'actifs sous-jacents) sur les parts de titrisations conservées par les banques. En théorie, cela permet d’abaisser le coût moyen pondéré des ressources bancaires allouées à ces expositions et d’élargir le volume de titrisations viables (i.e. dont le rendement permet de rémunérer les ressources) à des actifs qui pouvaient difficilement y prétendre jusqu’alors (prêts aux grandes entreprises et les PME, etc.). L’effet sur le volume des transactions de titrisation émises par les banques devrait être positif.
La portée de la baisse des pondérations serait toutefois limitée, en pratique, par des planchers de pondération, dont le niveau dépendrait du croisement de deux critères. Le premier serait le caractère STS, ou non STS, de la titrisation ; le second, nouveau, serait la « résilience » qui répond à certaines conditions de garantie de l’exposition par un tiers (rehaussement de crédit). Les planchers proposés s’échelonnent de 5%, dans le meilleur des cas (exposition STS résiliente), à 12% dans le moins favorable (lorsqu’aucun des deux critères n’est rempli).
Du côté de la demande, la Commission ne souhaite pas améliorer significativement le traitement actuel des expositions des banques agissant en qualité d'investisseurs, même pour les tranches de premier rang, afin d'éviter que les risques ne soient réinjectés dans le système bancaire. Elle ne propose d’aligner les risques entre les originateurs et les investisseurs que pour les tranches seniors des transactions résilientes de STS.
Par ailleurs, si l’intention de la Commission de simplifier les exigences en matière de due diligence pour les investisseurs est louable[4], ces efforts de simplification risquent d'être compromis par l'introduction de sanctions disproportionnées, sous forme notamment d’amendes dont le montant est exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires mondial. Non seulement cette mesure désinciterait les investisseurs potentiels à entrer sur le marché, mais elle pourrait également réduire le périmètre des investisseurs actuels, déjà limité. Parallèlement à sa proposition législative, la Commission européenne a initié une consultation publique en vue de modifier le règlement délégué sur le ratio de liquidité à court terme (LCR). L’objectif est de rendre les expositions de titrisations éligibles, sous certaines conditions, au numérateur du LCR.
Si l’impact économique des nouvelles mesures proposées par la Commission demeure difficile à évaluer, le meilleur alignement des exigences en capital au risque pourrait élargir le champ des prêts titrisables, notamment pour les prêts relativement risqués (grandes entreprises, PME). Cela se traduirait par une hausse des volumes d’émissions sur ces segments. Le texte proposé par la Commission va donc dans le bon sens. Toutefois, le choix d’un plancher de pondération relativement élevé pourrait annihiler les effets favorables de la baisse des pondérations des expositions les moins risquées (prêts à l’habitat).
De même, le nouveau régime de sanctions, auquel seraient soumis les investisseurs, pourrait agir comme un repoussoir, et aller à l’encontre de l’objectif recherché. Dans le cadre des discussions dont il va faire l’objet dans les semaines à venir, ce texte gagnerait à évoluer vers un meilleur équilibre entre les garde-fous, nécessaires pour rassurer les investisseurs et garantir la stabilité financière, et un degré de complexité qui, s’il demeurait excessif, risquerait susciter une méfiance qui n’a pourtant plus lieu d’être.
Surtout, ces mesures ne remettent pas en cause le traitement prudentiel désavantageux dont souffre la titrisation au regard de classes d’actifs au profil de risque similaire. Il reste à espérer que, dans le cadre du projet de modification du règlement délégué Solvabilité II qui vise, notamment, à « mieux tenir compte des risques réels de la titrisation et supprimer les coûts prudentiels inutiles supportés par les assureurs lorsqu'ils investissent dans des titrisations », la Commission formulera des propositions décisives afin de réduire cet écart de traitement et relancer efficacement ce marché.
[1] Dans le cas d’une titrisation classique. La titrisation synthétique autorise, quant à elle, le transfert du risque en conservant l’actif sous-jacent dans le bilan.
[2] L’exigence de rétention de 5% de la valeur des expositions titrisées a été introduite dans l'UE pour la première fois le 1er janvier 2011 par la directive 2009/111/CE relative à la titrisation.
[3] Le règlement titrisation a introduit des règles communes en matière de « due diligence », de rétention du risque et de transparence pour toutes les titrisations. Il a également créé un nouveau label de titrisations simples, transparentes et standardisées (STS). Dans le même temps, le règlement de 2017 modifiant le règlement concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement (CRR) a rendu les exigences en fonds propres bancaires plus sensibles au risque et introduit un traitement préférentiel spécifique pour les titrisations STS. En 2021, enfin, le champ d’application du label STS a été étendu aux titrisations synthétiques inscrites au bilan par une modification du règlement sur les titrisations et les obstacles réglementaires à la titrisation des expositions non performantes ont été supprimés par une modification du CRR.
[4] Par exemple, la suppression de l'obligation pour les investisseurs de l'UE de vérifier que les parties vendeuses respectent les obligations prévues dans le règlement (UE) 2017/2402 du 12 décembre 2017 (SECR) lorsque celles-ci sont établies dans l'UE.