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La croissance du PIB est locale mais les rendements obligataires sont en grande partie déterminés au niveau mondial : en quoi est-ce important ?

William De Vijlder
Conseiller économique de la Direction Générale du Groupe BNP Paribas
BNP Paribas - Portail des études économiques
Publié le 25 mars 2025 - Mis à jour le 25 mars 2025
Temps de lecture : 13 minutes

Depuis une quarantaine d’années, les rendements des obligations d’État des économies avancées sont fortement corrélés. Très souvent, les variations de ceux des bons du Trésor américain vont de pair avec des variations significatives des taux longs dans les autres pays, à l’exception du Japon. Cette synchronisation mondiale des rendements obligataires est plus marquée que pour la croissance réelle ou l’inflation.

Cela a son importance à bien des égards. Premièrement, des rendements réels plus élevés peuvent refléter une amélioration des perspectives de croissance ; mais ils pourraient aussi être dus à des facteurs étrangers et freiner la croissance. Deuxièmement, ces rendements jouent un rôle dans le calibrage de la politique monétaire. Troisièmement, ils influencent l’écart entre les coûts d’emprunt et la croissance des revenus qui serviront à rembourser la dette. Quatrièmement, les gouvernements doivent avoir conscience qu’un manque de discipline budgétaire peut engendrer des externalités négatives, en augmentant les rendements obligataires à l’étranger. C’est particulièrement important pour les États-Unis, compte tenu de leur rôle central dans le système financier mondial, mais aussi pour la gouvernance budgétaire de l’Union européenne.

Enfin, compte tenu des besoins de financement énormes destinés à la transition énergétique, l’IA, les biens publics, etc., dont l’impact sur les taux longs mondiaux reste à voir, chaque émetteur de dette devrait envisager la possibilité d’être confronté à des taux d’intérêt plus élevés, notamment en soumettant son bilan à des tests de résilience. En témoigne le sursaut des rendements obligataires de la zone euro à la suite de l’annonce, par l’Allemagne, de la création d’un vaste fonds d’investissements infrastructurels, d’une hausse des dépenses en matière de défense et de son intention d’assouplir le frein à l’endettement.

Forte corrélation des rendements des obligations d’État des économies avancées

RENDEMENT DES OBLIGATIONS D’ÉTAT À 10 ANS

Depuis une quarantaine d’années, les rendements des obligations d’État des économies avancées sont fortement corrélés, sauf pour le Japon dans une certaine mesure (graphique 1). Ce sujet a fait l’objet d’analyses poussées dans la littérature académique, qui avance plusieurs explications : l’adoption généralisée du ciblage de l’inflation par les banques centrales, les succès remportés dans la réduction de l’inflation et l’ancrage des attentes en la matière, la baisse des taux d’intérêt réels et celle du taux neutre, la mondialisation des investissements financiers dans un monde de libre circulation des capitaux, le rôle des chocs communs, etc.. En d’autres termes, les rendements des obligations souveraines des économies avancées sont fortement corrélés en raison de la similitude des objectifs de politique monétaire, de l’alignement des fondamentaux macroéconomiques et de l’intégration du système financier[1].

La corrélation bilatérale des rendements des obligations d’État dépasse celle de la croissance réelle ou de l’inflation

CORRÉLATION BILATÉRALE MOYENNE*
(FENÊTRE GLISSANTE DE 12 TRIMESTRES)

Les rendements obligataires nominaux sont influencés par une multitude de facteurs. La croissance économique et la dynamique des prix jouent un rôle central, directement ou indirectement. Par conséquent, la synchronisation des rendements obligataires soulève une question : existe-t-il de telles corrélations au niveau de la croissance réelle du PIB et de l’inflation ?

Le graphique 2 illustre la corrélation bilatérale moyenne de ces variables entre dix économies avancées. La plupart du temps, le degré de corrélation des rendements obligataires dépasse largement celui de la croissance réelle du PIB. Jusqu’à récemment, cette corrélation des rendements obligataires était aussi plus marquée que celle des taux d’inflation.

CORRÉLATION BILATÉRALE MOYENNE*

Par ailleurs, la corrélation était structurellement faible avant la crise financière mondiale de 2008-2009 (« grande crise financière »), mais elle a augmenté par la suite – avec des fluctuations significatives. Le fait que 3 des 10 pays étudiés sont membres de la zone euro peut fausser les mesures de la corrélation des rendements obligataires à la hausse en période de « calme », lorsque les spreads sont stables ou se resserrent, et à la baisse en période de stress, lorsque les spreads s’élargissent considérablement (comme cela a été le cas pendant la crise de la dette souveraine de la zone euro). C’est pourquoi le graphique 3 indique les corrélations moyennes pour un plus petit échantillon de pays, l’Allemagne étant le seul représentant la zone euro. L’on peut constater un impact notable sur la corrélation moyenne des rendements obligataires, qui apparaît maintenant plus élevée pendant la crise de la dette de la zone euro.

Quand il pleut aux États-Unis…

CORRÉLATION GLISSANTE SUR 12 TRIMESTRES ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L’ALLEMAGNE

Compte tenu du rôle central joué par les États-Unis dans le système financier mondial, la corrélation entre un pays donné et ces derniers est particulièrement intéressante. Le graphique 4 prend les obligations d’État allemandes pour référence des obligations souveraines de la zone euro, en raison de leur sécurité et de leur liquidité. La plupart du temps, la corrélation a été très élevée entre les rendements obligataires américains et allemands. Après la grande crise financière, les taux d’inflation des deux pays ont été davantage corrélés, comme le montrent les moyennes des périodes pré-crise et post-crise. Quant à la corrélation des taux de croissance, elle n’a pas vraiment changé. De plus, si nous comparons la corrélation moyenne des rendements obligataires avant et après la grande crise financière, nous constatons qu’elle a légèrement augmenté. Autrement dit, après la crise, la corrélation moyenne de l’inflation et celle des rendements obligataires étaient équivalentes.

CORRÉLATION GLISSANTE SUR 12 TRIMESTRES ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET LA ZONE EURO

Le graphique 5 reflète le degré de corrélation entre les taux de croissance et les taux d’inflation respectifs aux États-Unis et dans la zone euro. Une nouvelle fois, les rendements obligataires de la zone euro sont représentés par les Bunds allemands. En ce qui concerne la croissance du PIB, deux mesures de corrélation ont été calculées : la première est basée sur les données de croissance en base trimestrielle, l’autre sur les données de croissance trimestrielles en glissement annuel. Cette dernière mesure facilite la comparaison avec l’inflation, qui est également calculée en glissement annuel. L’objectif est d’évaluer si l’autocorrélation, propre à un chiffre de croissance en glissement annuel, affecte la corrélation entre les données américaines et celles de la zone euro. Comme le montre le graphique, la corrélation est en effet plus élevée – tout en restant nettement inférieure aux degrés de corrélation entre l’inflation et les rendements obligataires.

BÊTA GLISSANT DE LA VARIATION TRIMESTRIELLE DU RENDEMENT DES OBLIGATIONS D’ÉTAT SUR UNE FENÊTRE DE 12 TRIMESTRES

Passons maintenant aux marchés obligataires : le graphique 6 montre l’évolution trimestrielle des rendements obligataires à l’étranger pour chaque variation de rendement des bons du Trésor à 10 ans au cours du même trimestre. Sauf pour le Japon, les variations de rendement des bons du Trésor américain vont de pair avec des variations significatives du rendement des obligations souveraines à l’étranger (bêta généralement supérieur à 0,5). Cela signifie que pour chaque hausse de 50 points de base des rendements américains au cours d’un trimestre donné, les rendements obligataires étrangers ont, eux aussi, augmenté d’au moins 25 points de base. Pour l’Allemagne, le bêta fluctue principalement dans une fourchette comprise entre 0,6 et 0,8 (graphique 7).

BÊTA GLISSANT DE LA VARIATION TRIMESTRIELLE DU RENDEMENT
DES OBLIGATIONS D’ÉTAT SUR UNE FENÊTRE DE 12 TRIMESTRES

À l’évidence, l’évolution des rendements américains n’explique qu’en partie celle des rendements allemands – bien qu’il s’agisse d’une partie importante (régression R² sur l’ensemble de l’échantillon : 0,57). De plus, pour 81 % des observations, les rendements américains et allemands ont évolué dans le même sens (même signe). Le calcul du bêta permet de progresser dans l’analyse de la corrélation. Cela ne veut pas dire pour autant que la variation des rendements allemands est due à l’évolution des rendements américains. Des études sur la covariation des rendements des bons du Trésor et des Bunds montrent qu’en réaction à l’actualité, la causalité est bidirectionnelle : en effet, si les annonces du Comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed ont un impact sur les rendements des bons du Trésor et sur ceux des Bunds, il en va de même pour les annonces de politique de la BCE, qui affectent à la fois les rendements des Bunds et ceux des bons du Trésor.[2] Un facteur important du parallélisme entre les rendements obligataires américains et allemands à long terme est la « covariation élevée entre les primes, en particulier à l’extrémité longue de la courbe de rendement, tant en termes de niveaux que d’évolutions dans les deux séries ».[3] L’analyse du lien de causalité montre que « seule une petite partie de la dynamique commune peut être attribuée à l’effet moteur d’une région sur l’autre. » Cela indique qu’il existe un facteur commun mondial qui influence la prime de terme dans les deux régions.

Pourquoi est-ce important ?

Puisqu’entre les États-Unis et la zone euro, la corrélation de la croissance réelle est bien inférieure à la corrélation des rendements de leurs obligations souveraines respectives, il est tentant de conclure que la croissance est « locale », tandis que les rendements obligataires relèvent d’un marché mondial. Bien entendu, la réalité est plus nuancée. Pour ce qui est de la croissance, les chocs à l’étranger ont des effets d’entraînement. Par ailleurs, dans les pays fortement axés sur l’exportation, les développements cycliques à l’étranger jouent un rôle important dans la croissance du PIB.[4] Quant aux rendements obligataires locaux, ils dépendent aussi de facteurs nationaux, tels que la politique monétaire (taux directeurs, évolution du bilan de la banque centrale) et les besoins d’emprunt du secteur public. Ce dernier point a récemment été illustré par le sursaut des rendements obligataires de la zone euro, depuis que l’Allemagne projette de créer un vaste fonds d’investissements infrastructurels, d’augmenter ses dépenses en matière de défense et d’assouplir sa règle du frein à l’endettement (voir encadré). Néanmoins, des recherches menées par le FMI indiquent qu’en moyenne, le cycle conjoncturel mondial n’affecte la volatilité de la production d’un pays qu’à concurrence de 20 %[5]. Or, comme indiqué ci-dessus, le R² d’une régression qui explique l’évolution trimestrielle des rendements allemands à l’aune de l’évolution des rendements américains est de 0,57.

En quoi est-il important que la croissance résulte principalement de la demande intérieure, tandis que les rendements obligataires découlent dans une grande mesure de facteurs mondiaux ?

Premièrement, il convient d’en tenir compte pour interpréter les rendements obligataires et leurs fluctuations. En effet, une hausse des rendements réels pourrait refléter une amélioration des perspectives de croissance, mais elle pourrait également être due à des facteurs étrangers et finir par freiner la croissance.

Deuxièmement, cela a un impact sur le mécanisme de transmission monétaire, comme l’a démontré Richard Clarida lorsqu’il était vice-président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale : « L’intégration internationale des marchés des obligations souveraines a des conséquences importantes [...] sur la manière dont les banques centrales calibrent le mécanisme de transmission de la politique et leurs orientations de politique vis-à-vis de l’économie réelle, par le biais des rendements des obligations à long terme pertinents pour l’épargne, l’investissement et la valorisation des actifs. »[6]

Troisièmement, cela a une influence sur l’écart entre les coûts d’emprunt et la croissance des revenus qui serviront à rembourser la dette. En finances publiques, cet écart est appelé « r-g », à savoir le coût moyen de l’encours de la dette publique (taux d’intérêt) et le taux de croissance à long terme attendu du PIB nominal (lequel est important pour l’évolution des revenus fiscaux). Une approche similaire peut être appliquée aux ménages et aux entreprises, en mettant en rapport les coûts d’emprunt et la croissance des revenus ou des flux de trésorerie. Les gouvernements doivent avoir conscience qu’un manque de discipline budgétaire peut engendrer des externalités négatives, en augmentant les rendements obligataires à l’étranger. C’est particulièrement important pour les États-Unis, compte tenu de leur rôle central dans le système financier mondial et des projections, pour le moins préoccupantes, de l’évolution de la dette publique américaine.[7] Cela souligne également la nécessité d’une rigueur budgétaire au niveau européen. Enfin, c’est important au regard des énormes besoins de financement destinés à la transition énergétique et la révolution technologique (IA), ainsi que la hausse des dépenses publiques (éducation, soins de santé, défense, etc.), dont l’impact sur le niveau mondial des taux longs reste à confirmer. Dans ce contexte, chaque émetteur de dette devrait envisager la possibilité d’être confronté à des taux d’intérêt plus élevés, notamment en soumettant son bilan à des tests de résilience.


L’ALLEMAGNE PROJETTE D’AUGMENTER MASSIVEMENT SES DÉPENSES POUR LES INFRASTRUCTURES ET LA DÉFENSE : LES RENDEMENTS OBLIGATAIRES AUGMENTENT EN FLÈCHE

[1] « La théorie économique suggère au moins deux raisons pour lesquelles les facteurs intégrés aux courbes de rendement des obligations d’État peuvent être corrélés entre les pays. Premièrement, il y aura une telle corrélation si les fondamentaux macroéconomiques sous-jacents à ces facteurs (par exemple : la croissance de la productivité, les déséquilibres entre l’épargne et l’investissement et les prévisions d’inflation à plus long terme) sont communs entre les pays. Deuxièmement […], cette corrélation sera présente si les pays sont étroitement intégrés au niveau financier, même si les fondamentaux en soi varient d’un pays à l’autre. » Source : « Sovereign Markets, Global Factors », remarques de Richard H. Clarida, vice-président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, lors de la 25e Conférence annuelle sur les marchés financiers, « Fostering a Resilient Economy and Financial System: The Role of Central Banks », financée par le Center for Financial Innovation and Stability, Réserve fédérale d’Atlanta, le 17 mai 2021.

[2] Source : Curcuru, Stephanie E., Michiel De Pooter et George Eckerd, « Measuring monetary policy spillovers between U.S. and German bond yields », International Finance Discussion Papers 1226, Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, avril 2018.

[3] Source : Nikolay Iskrev, « Term premia dynamics in the US and Euro Area: who is leading whom? », Banco de Portugal, janvier 2018.

[4] Entre 2000 et 2023, la croissance annuelle moyenne du PIB réel dans la zone euro a été de 1,3 %, dont 1,1 point de pourcentage dû à la demande intérieure et 0,2 ppt au solde de la balance commerciale (exportations : 1,5 ppt, importations : -1,3 ppt). Toutefois, ces chiffres sont biaisés, car les importations sont soustraites des exportations, or le contenu importé devrait être soustrait séparément de chaque composante de la demande finale. Pour une analyse de ce problème, voir Henk Kranendonk et Johan Verbruggen, « Decomposition of PIB growth in European countries – Different methods tell different stories », CPB Document No 158, janvier 2008.

[5] Source : Eric Monnet et Damien Puy, « Has Globalization Really Increased Business Cycle Synchronization? », document de travail 16/54 du FMI, mars 2016. Les auteurs analysent 21 pays d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Asie et d’Amérique latine, et n’ont trouvé aucune différence de covariation entre l’ère Bretton Woods (1950-1971) et la période de la mondialisation (1984-2006).

[6] Source : Richard H. Clarida (2021).

[7] Le Bureau du budget du Congrès américain prévoit que d’ici 2035, la dette fédérale atteindra 118 % du PIB, contre 97,8 % en 2024. D’ici 2055, il projette un ratio d’endettement de 154 %. Source : CBO, Projections budgétaires, janvier 2025.

Notre expert
William De Vijlder
Conseiller économique de la Direction Générale du Groupe BNP Paribas

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Economie mondiale
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