Edouard Desbonnets, Investment Advisor
Sommaire
- La Fed a maintenu un ton accommodant.
- Bien qu’elle ait révisé ses projections économiques à la hausse, elle n’envisage aucune réduction des achats d’actifs imminente et ne compte pas monter ses taux dans les deux ans qui viennent.
- Elle projette une hausse temporaire de l’inflation en 2021, mais pas au-delà.
- Powell estime que la Fed n’a pas à agir à ce stade pour stopper/freiner la hausse des taux à long terme.
- Les conditions financières, le marché de l’emploi et l’inflation sont les indicateurs déterminants qui influenceront tout changement de politique monétaire.
- Nous anticipons l’annonce de la réduction des achats d’actifs au T4 2021 avec une implémentation au T2 2022 et une première hausse de taux directeurs au T3 2023.
Amélioration depuis décembre
Depuis le 16 décembre 2020, date des dernières projections économiques de la Réserve fédérale américaine (Fed), la situation sanitaire et l’activité économique se sont nettement améliorées. Le nombre de contamination quotidienne à la Covid a chuté de 80% par rapport à janvier, un plan budgétaire de 900 milliards de dollar a été voté en décembre, suivi d’un autre de 1.900 milliards en mars et l’économie a commencé à rouvrir progressivement. Les projections de croissance économique ont été révisées à la hausse. Le consensus des économistes table désormais sur 5,5% de croissance aux États-Unis en 2021. Certaines grandes banques américaines prévoient même 7%.
Les marchés obligataires se sont ajustés : le rendement du bon du Trésor à 10 ans s’est tendu de 0,70% à 1,62% du fait de l’amélioration des perspectives d’inflation et du rebond des taux réels. Le marché a également fortement révisé ses anticipations de hausse de taux directeurs. Il entrevoie une première hausse dès décembre 2022, suivi de 2,5 hausses en 2023.
Le but de la Fed, pour sa réunion de politique monétaire des 16-17 mars, était donc de justifier le maintien de sa politique très accommodante tout en reconnaissant que l’économie s’était nettement améliorée.
Les nouvelles projections économiques de la Fed
Plus de croissance temporairement. La Fed a fortement révisé ses projections de croissance pour 2021, de 4,2% (projections faites en décembre 2020) à 6,5%, mais guère celles des années au-delà.
Moins de chômage. La Fed s’attend à une réduction du taux chômage en 2021 plus rapide qu’anticipé (4,5% contre 5,0% en décembre 2020), avec une décrue à 3,5% en 2023. A noter cependant que le taux de chômage n’est pas vraiment représentatif du nombre de chômeurs car le taux de participation reste en deca de son niveau pré-Covid.
Plus d’inflation temporairement. La Fed estime que l’inflation sera plus marquée en 2021 (2.4% contre 1.8% en décembre 2020 pour l’inflation globale et 2.2% contre décembre 2020 pour l’inflation sous-jacente). Cependant, elle anticipe ensuite un retour de l’inflation à son objectif de 2% en 2022 et 2023. Ainsi, même si des poches d’inflation peuvent être observées dans certains secteurs (santé, alimentation, loyers), la Fed ne pense pas qu’il s’agisse d’une augmentation pérenne. Elle tolèrera donc cet excès temporaire, en accord avec sa nouvelle politique de moyenne d’inflation à 2% sur une certaine période.
Pas de grandes décisions
Comme largement attendu, bien que les projections économiques se soient améliorées, la Fed a maintenu ses taux directeurs inchangés (0%-0,25%) et laisse en place son programme d’achat d’actifs de 120 milliards de dollar par mois (80 milliards de bons du Trésor et 40 milliards de Mortgage-Backed Securities, titres adossés à des créances immobilières)
Les dots : à ne pas surestimer
Les dots (projections individuelles de chacun des 18 membres de la Fed) sont toujours très regardées par le marché, au grand dam de la Fed qui précise inlassablement qu’il s’agit de vues individuelles basées sur des projections macroéconomiques individuelles et donc non issues d’un consensus. Quoi qu’il en soit, elles donnent une indication sur la date de la première hausse de taux directeurs.
Le point médian n’a pas bougé, les membres de la Fed n’anticipent donc pas de hausse de taux dans les deux années qui viennent. Ceci dit, 7 membres (contre 5 en décembre 2020) pensent qu’il faudra monter les taux au moins une fois en 2023. Ce n’est certes pas une majorité, et l’on devine que ce sont les présidents des Fed régionales derrière (moins influents que les gouverneurs), mais un consensus se forme peu à peu et promet des réunions plus agitées en 2022-2023.
Tapering ? Plus tard.
Le tapering (réduction des achats d’actifs) n’est pas pour maintenant dixit le Président de la Fed. Il faut d’abord que des progrès substantiels soient réalisés. La Fed promet d’informer le marché bien à l’avance.
Nous anticipons une communication fin de cette année du fait de la vigueur attendue de la reprise économique, avec une lente réduction des achats d’actifs qui commencerait au deuxième trimestre 2022.
Hausse des taux directeurs ? Encore plus tard.
Powell a été clair. Il ne faut pas s’attendre à des hausses de taux avant que des progrès « supplémentaires substantiels » n’aient été réalisés sur le front de l’inflation et du chômage. Il faut que l’inflation excède modérément 2% pendant un certain temps (probablement une année). Il faut aussi le retour au plein emploi, auquel la Fed ajoute une nouvelle dimension sociale, puisqu’en plus des données agrégées, elle regardera les niveaux d’emploi de certaines catégories de la population comme les afro-américains, les latinos et les femmes, qui sont généralement les premiers touchés par la crise et les derniers à en sortir.
Nous tablons sur une première hausse des taux pour le troisième trimestre de 2023.
Quid du niveau des taux longs ?
Powell n’a pas dévié des messages répétés lors de ses dernières allocutions : la hausse des taux à long terme reflète la reprise de l’activité économique. La politique monétaire est appropriée. En bref, la Fed n’agira pas car les conditions financières restent accommodantes et il n’y a pas eu de dysfonctionnement ni de correction sur les marchés financiers.
Ratio SLR ? « Posez-moi une autre question. »
Cette incertitude réglementaire a été pointée du doigt comme responsable de la volatilité des taux à long terme. La Fed avait mis en place un assouplissement pour le calcul du ratio de levier supplémentaire (SLR) suite à la crise de la Covid car elle craignait que les exigences de levier n’entravent la capacité des banques à financer l’économie et à soutenir le bon fonctionnement des marchés. La Fed doit décider de le renouveler ou pas avant le 31 mars. Si elle ne le renouvelle pas, les grosses banques américaines pourraient limiter leurs achats de bons du Trésor pour respecter ce ratio, ce qui ajouterait une pression haussière sur les taux à long terme.
Au final, pas de forte réaction de marché
Le ton rassurant de Powell a été bénéfique aux actifs risqués. Les marchés actions sont revenus dans le vert après la réunion de la Fed. Le taux américain à 10 ans a baissé, ce qui a profité aux obligations d’entreprises et aux obligations des pays émergents. Le dollar s’est déprécié.