Au lendemain de la Crise financière mondiale, les banques centrales du monde entier ont été saluées pour leurs politiques monétaires innovantes. Cette année en revanche, malgré la rapidité des réactions face à la crise économique, la COVID-19 a accentué des fractures déjà naissantes entre les trois grandes puissances mondiales : États-Unis, Europe et Chine. Dans ces régions, la politique monétaire et budgétaire a été conduite suivant trois trajectoires séparées, lesquelles peuvent être illustrées sur une échelle allant du « bon » à la « brute », en passant par le « truand » avec un possible vilain dérapage. À quoi sont dues ces divergences, et les investisseurs doivent-ils s’en inquiéter ?
Coronavirus : le fauteur de troubles
Au premier trimestre, les premières réactions politiques face à la pandémie ont été globalement similaires. Les pays ont mis en place des confinements pour endiguer la propagation du virus, complétés par des mesures de relance sans précédent afin de protéger les économies et l’emploi. Malgré leur indéniable efficacité, ces confinements n’ont pas fait entièrement disparaître le virus, et nous sommes aujourd’hui confrontés à une deuxième vague qui provoque des réactions assez variables.
Les États-Unis privilégient la protection de l’économie et n’ont pas renouvelé de restrictions importantes au moment du deuxième pic des contaminations pendant l’été. Les pays européens semblent plus disposés à prendre des mesures plus contraignantes et ont imposé plusieurs confinements localisés afin de ralentir la deuxième vague. Ces mesures plus strictes vont freiner la reprise de la région, déjà victime d’une grave crise économique.
En Chine, d’où vient pourtant le virus, la première vague a été très localisée et il n’y a pas eu de deuxième épisode notable. Si le premier confinement, draconien, avait brutalement mis à l’arrêt la croissance (causant une contraction du PIB), les dernières statistiques économiques reflètent un rebond vigoureux de l’activité, la Chine étant désormais l’un des rares pays à être entrés dans le monde de l’après-pandémie.
Le dérapage possible : l’élection présidentielle américaine
L’économie américaine est soutenue par des mesures massives de relance budgétaire et monétaire, qui compensent a minima une partie de la récession causée par le confinement. La Réserve fédérale (Fed) a injecté plusieurs milliers de milliards de dollars de liquidités supplémentaires, et avec son nouvel objectif d’inflation plus flexible, elle a montré qu’elle ne relèverait plus ses taux d’intérêt de manière préventive en vue de contrer un risque d’inflation supposé ou la relance budgétaire. Ce message a rassuré les marchés en les confortant dans l’idée que la politique monétaire américaine resterait conciliante pendant longtemps.
Pour sa part, le Congrès américain a voté un plan de relance de 2 000 milliards de dollars, signé par le Président Trump, qui a garanti un revenu essentiel à des millions de personnes mises au chômage par la crise. Hélas, un autre projet de mesures massives est paralysé par le blocage politique entre le Sénat, aux mains des Républicains, et la Chambre des Représentants, où les Démocrates sont majoritaires. À présent, les discussions sont au point mort jusqu’aux élections de novembre, même si des mesures plus ciblées et moins importantes pourraient encore être décidées.
De plus, l’élection fait l’objet d’une lutte sans merci. Plusieurs issues sont envisageables :
- Impossibilité de définir un gagnant clair le 3 novembre. Si les deux candidats sont au coude à coude, Donald Trump a d’ores et déjà fait savoir qu’il pourrait contester le résultat du vote, ce qui pourrait faire durer la situation jusqu’à la fin de l’année. Ce scénario pourrait avoir des répercussions très néfastes sur les marchés à court terme, comme en 2000 avec le résultat de l’élection opposant George W Bush et Al Gore.
- Indépendamment du nom du gagnant, il est important de savoir si le Congrès restera divisé. Si oui, le risque est que très peu de lois soient votées en raison de blocages, comme actuellement avec l’échec des négociations autour d’un deuxième plan de relance. C’est ce qui s’est produit pendant les six dernières années de présidence de Barack Obama, ainsi que les deux dernières de Donald Trump. Reste à voir dans quelle mesure un tel résultat, qui prolongerait le statu quo, serait apprécié par les marchés, car l’économie devra alors sortir de la récession par ses propres moyens.
- Enfin, une victoire de Joe Biden à la Maison Blanche et des Démocrates au Sénat pourrait se révéler l’issue la plus positive pour les marchés. Celle-ci donnerait certainement lieu au vote d’un important plan de relance, ce qui contribuerait aussi à tirer à la hausse les rendements des bons du Trésor sous l’effet de la révision des anticipations de croissance et d’inflation.
La « brute » : des nouveaux confinements porteront un coup à l’économie européenne
L’approche européenne de la deuxième vague est très différente de celle des États-Unis. Premièrement, si d’autres mesures de confinement généralisé sont prises, elles risqueront d’engendrer un découplage encore plus fort entre les trajectoires de croissance de chaque côté de l’Atlantique. Deuxièmement, les programme de relance budgétaire de la région ont été prolongés sur l’année prochaine en donnant la priorité à la protection des emplois et des industries.
Si cette approche est efficace à court terme, elle empêche aussi l’industrie et l’emploi d’adopter la transition vers le nouveau monde de l’après-pandémie. Et l’accumulation d’entreprises « zombies » qui en résulte pourrait être très préjudiciable à long terme. La réorientation des moyens financiers et de la main d’œuvre vers des secteurs de croissance (concept appelé « destruction créatrice ») a déjà fait ses preuves en aidant l’industrie à se redresser après la Crise financière mondiale, et c’est un processus essentiel pour permettre à l’économie de s’adapter à un monde profondément bouleversé à l’issue de la pandémie. Mais les responsables politiques européens auront-ils assez de courage pour le faire ?
La puissance de frappe monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) soulève également des questions. Les taux d’intérêt étaient déjà négatifs au début de la pandémie, et la réticence de la BCE à l’idée de les réduire encore, à l’instar de la Fed et de la Banque d’Angleterre, reflète bien la prise de conscience que des taux négatifs risquent de causer plus de mal que de bien.
Enfin, les programmes de relance de la BCE et de l’Union européenne, acquis péniblement, ont peut-être réussi à tempérer la volatilité des marchés, mais leurs effets pour relancer l’inflation sont absents. L’appréciation de l’euro renforce les pressions déflationnistes, et l’on peut se demander si la banque centrale dispose du moindre outil en réserve pour raviver l’inflation ou encore si l’Union européenne est en mesure de prendre d’autres mesures de soutien budgétaire.
Le « bon » : l’auto-suffisance de la Chine
La Chine continue de nous surprendre. Le fait que la pandémie ait accentué les tendances de la démondialisation a fait craindre des répercussions particulièrement dommageables pour l’économie chinoise. Pourtant, ce n’est pas le cas. En réalité, c’est la Chine, qui est à la tête de la reprise, et le pays est bien placé pour bénéficier de la démondialisation. S’il est vrai qu’une baisse du commerce international aurait nui à la situation de la Chine par le passé, son économie fait maintenant la part belle aux services et à la demande intérieure. Et sa population proche de 1,5 milliard1 d’habitants fait très bien office de marché intérieur, lui conférant pratiquement la même auto-suffisance que les États-Unis.
Avec des niveaux de dette (du gouvernement central) relativement faibles et un compte de capital fermé, la Chine dispose d’un avantage par rapport à de nombreux autres pays, car elle peut se permettre de prendre de nouvelles mesures de relance en cas de besoin. Ce n’est pas le cas d’un grand nombre de pays émergents, qui n’ont pas la capacité de financer par la dette de nouvelle dépenses ou initiatives de relance monétaire, et dont l’instabilité de la devise et la dépendance économique envers le commerce créent des obstacles supplémentaires.
Conséquences pour les investisseurs
Après plus de dix ans marqués par des conditions de marché globalement favorables, 2020 est venue bousculer les investisseurs. Mais si les perspectives sont globalement sombres à court terme, ce siècle nous a déjà appris que les bouleversements, quel que soit leur type, peuvent créer des opportunités enthousiasmantes, et souvent révolutionnaires. Et on peut dire que 2020 aura été une année de bouleversements.
Chez BNP Paribas Asset Management, nous appréhendons l’investissement sous tous ses angles. Nous sommes donc convaincus que l’instabilité est source d’opportunités. Dans le cadre de perspectives prudentes à l’égard des actifs risqués à moyen terme, nous sommes parfaitement conscients que le paysage de l’investissement de l’après-pandémie peut radicalement changer. Le processus de destruction créatrice permettra de mettre en lumière les secteurs qui prospèrent et ceux, au contraire, dont la disparition paraît inéluctable. Notre mission consiste à discerner les meilleures perspectives d’investissement pour nos clients.
Pour en savoir plus, consultez la page « thèmes d’investissement ».
Article extrait du site BNP Paribas Asset Management