Cette année la BNP Paribas Banque Privée s'associe avec la foire Art Paris en créant le prix BNP Paribas Banque Privée: un regard sur la scène française. Un jury prestigieux composé de 8 personnalités du monde de l’art et de la culture viendra récompenser le parcours d’un ou d’une artiste, choisi parmi les nominés de la sélection d’Éric de Chassey, commissaire invité d’Art Paris 2024. Ce prix récompensé par une dotation de 30 000 euros sera décerné le mercredi 3 avril 2025, lors de l’inauguration de la foire.
Focus sur 5 artistes nominés pour Le prix "BNP Paribas Banque Privée: un regard sur la scène française" :
Jean-Michel Alberola
Vladimir Tatline est l’incarnation-même de l’artiste utopiste. Dans les premières années de la Russie bolchevique, il abandonna la peinture et la sculpture pour des réalisations destinées à transformer concrètement la vie, telles le Monument à la Troisième Internationale et la machine volante Létatline, avant que la répression des avant-gardes ne l’oblige à revenir à la nature morte et au portrait.
Jean-Michel Alberola, pour qui l’utopie et ses échecs apparents est un thème récurrent, a peint plusieurs tableaux à partir d’une photographie prise pendant le séjour à Paris de Tatline, au printemps 1913, lorsque celui-ci proposa à Picasso de l’engager comme domestique. L’immense manteau qui enveloppe le corps de l’artiste et le chapeau qui paraît lui aussi trop grand sont fidèles à la photographie. Mais ils sont traités ici comme les éléments d’un emboîtage pictural de rectangles au chromatisme doucereux et acide à la fois, qui structurent la composition et déstructurent les formes. La présence éclatante d’une étoile rouge renvoie aux espoirs de la Révolution, mais c’est la mélancolie qui l’emporte – celle que l’on voit sur le visage juvénile de Tatline, un de ces « rois de rien » dont Jean-Michel Alberola a fait ses héros paradoxaux.
Jean-Michel Alberola
Vladimir Tatlin I, 2021
Huile sur toile
134 × 101 × 5 cm (encadré)
TEMPLON, Paris – Bruxelles – NYC.
Photo © Nicolas Brasseur
Yto Barrada
Yto Barrada est une collecteuse, une assembleuse, une monteuse de projets, qui utilise tous les moyens et toutes les techniques à sa disposition, du dessin au film, de la photographie à l’exposition, avec une sensibilité particulière aux liens postcoloniaux entre le Maroc et l’Occident et aux rapports inexplorés entre les avant-gardes du xxe et les pratiques populaires et vernaculaires.
La série de photographies « Flea Market », menée depuis 2018 à partir de sa fréquentation des marchés de Tanger, rassemble des images d’agencements provisoires résultant de la dépose de rebus de construction ou d’ameublement, une dépose plus ou moins aléatoire mais qui témoigne toujours d’un puissant instinct décoratif et architectural anonyme. Ce sont de véritables villes en réduction, aux éléments hétérogènes mais formant des ensembles finalement cohérents, à l’instar des métropoles contemporaines dans les territoires où ne s’imposent pas des normes préétablies mais où s’inventent des pratiques hybrides et enthousiastes, quoique guidées par les nécessités du moment et une économie du réemploi, dont les potentiels féconds sont trop souvent dédaignés.
Yto Barrada
Marché aux puces (Fig.4), Tanger 2018-2023
Impressions chromogéniques
62,23 x 76,20 cm
Édition de 3
Galerie Polaris
Alice Bidault
Alice Bidault est une artiste dont on voit encore trop rarement les œuvres. Le fait qu’elle ait choisi de s’installer dans le Morvan, et d’y mener sa vie d’artiste en parallèle à des activités de permaculture, d’apiculture et de distillation, n’y est sans doute pas étranger. Mais chaque fois qu’il m’a été donné de voir ses œuvres j’ai été frappé par leur force en même temps que par leur subtilité. Ce sont des sculptures ou des installations murales qui prennent leur source dans son environnement quotidien aussi bien que dans un fort intérêt pour l’archéologie, à la fois occidentale et extra-occidentale.
Depuis peu, elle a repris dans ses œuvres le principe des quipus incas, ces cordelettes dont les nouages indiquent des opérations de comptage ou des moments de récits, et qui restent largement indéchiffrés. Il n’y a cependant aucune nostalgie dans cette référence et, dans Éclore, le principe du quipu est d’ailleurs repris par un néon, posé sur un assemblage de fines plaques de porcelaine estampées, « avec des épis de maïs issus de mes récoltes » précise l’artiste, qui indique ainsi son désir de présenter des significations incertaines, dont la sensibilité mieux que l’analyse logique peut percevoir que l’inséparation entre nature et culture y est un enjeu majeur.
Alice Bidault
Éclore 2023
Installation, porcelaine
Dimensions variables
Galerie Pietro Spartà
Mathilde Denize
Pendant longtemps, la peinture, sous la forme du tableau, n’a joué qu’un rôle secondaire dans le travail de Mathilde Denize. Celle-ci assemblait surtout des objets trouvés, souvent de rebut, qu’elle transformait à l’occasion, comme pour les sauver de la négligence avec laquelle on les traite généralement, les associant les uns avec les autres, ou avec des moulages de partie du corps, en configurations plus ou moins amples. Même si cela est en partie faux techniquement, il lui a fallu en passer par le vêtement pour pouvoir revenir au tableau.
Elle reprend en effet des fragments de toile où les différentes couches de peinture se superposent et se confondent pour en faire des costumes, qui peuvent à l’occasion, lors de performances, être portés, mais sont également présentés au mur, évoquant leurs possibles vies passées et futures. C’est le même principe de recomposition et d’assemblage de fragments picturaux qui gouverne l’exécution de tableaux d’apparence plus traditionnelle. Ils ne proposent jamais une forme stable mais évoquent des présences fantomatiques, ouvertes de l’intérieur et qui glissent l’une dans l’autre, avec une fausse tranquillité qui évite l’affirmation péremptoire et préfère toujours la suggestion et la fluidité.
Mathilde Denize
Figure, 2023
Peinture
195 x 130 cm
Perrotin
Assan Smati
Par la sculpture et par la peinture, Assan Smati donne corps à des préoccupations artistiques qui vont du dialogue avec les artistes qu’il admire à la mise en résonance des événements du monde qui l’affectent. Ces corps ont le plus souvent pris chez lui des formes figuratives, fondées sur l’observation autant que sur l’imagination.
Depuis peu, ces formes ont été rejointes par des abstractions. Celles-ci sont moins différentes qu’il n’y paraît de ces portraits d’Algériens que Smati peint depuis des années : bustes isolés de figures à la fois génériques et spécifiques, qui s’ancrent dans l’espace pictural à défaut de trouver leur juste place dans la société.
Elles sont en effet des corps de couleur, surgis dans le cours du travail ou trouvés ailleurs (les trois cercles bleus et rouges de Anxiété, Phobie, Obsession transcrivent par exemple un schéma explicatif utilisé par le penseur postcolonial Frantz Fanon dans sa pratique psychanalytique). Elles trouvent leur densité propre, leur lieu adéquat et leurs rapports réciproques à travers un processus d’ajustements visible dans le résultat final, qui peut prendre des dimensions monumentales et s’affirmer comme une solution, plastique mais aussi politique.
Gravité, 2023
Huile sur toile
395 x 371 cm
Galerie Nosbaum Reding