Étonnamment, peu de gens savent que deux événements importants de la COP ont eu lieu l’an passé. Alors que la COP 26 de Glasgow a retenu toute l’attention des médias internationaux, la COP 15, moins connue, s’est tranquillement déroulée dans la ville de Kunming, en Chine. Consacrée à la biodiversité, cette conférence s’est penchée sur les outils qui favoriseront une préservation plus juste et plus durable des ressources de la Terre.
La biodiversité joue un rôle considérable pour la santé future de notre planète, mais la préservation de nos écosystèmes, en particulier les forêts et les océans, est également essentielle pour lutter contre le changement climatique, en raison de leur fonction vitale en matière de stockage de carbone. Alors, pourquoi ces causes majeures font-elles l’objet d’actions séparées ? La Secrétaire exécutive de la Convention sur la biodiversité reconnaît que changement climatique et biodiversité représentent « des crises entremêlées qui doivent être réglées ensemble »1.
Un avis que partage le Professeur Johan Rockstrom, scientifique de renommée mondiale spécialiste des questions liées à la durabilité. Invité lors du Symposium d’investissement de BNP Paribas Asset Management en 2021, le Professeur Rockstrom a défendu l’idée qu’une transition du système alimentaire mondial était indispensable pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, en particulier celui de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Mais une telle transformation de la chaîne alimentaire permettra-t-elle vraiment de régler le problème du changement climatique ? Qu’impliquerait-elle, et quelles seraient les conséquences pour les investisseurs ?
Mettre un terme à une chaîne alimentaire non durable
Alors qu’une grande partie de la lutte contre le changement climatique se concentre sur des solutions de réduction des émissions dans le secteur énergétique, le système alimentaire et agricole mondial représente pas moins de 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine2. Près de la moitié de ce chiffre revient aux exploitations agricoles, un quart au changement d’affectation des sols et un tiers aux processus des chaînes d’approvisionnement3.
Les modes de production de l’alimentation mettent en danger non seulement le climat, mais aussi d’autres limites planétaires (seuils environnementaux à ne pas dépasser pour que l’humanité vive dans un écosystème sûr), comme la biodiversité, l’affectation des sols et le suremploi de produits biochimiques. D’après le Professeur Rockstrom, une révolution des modes de production alimentaire au cours des dix prochaines années pourrait résoudre un grand nombre des problèmes de la planète : « Aujourd’hui, les preuves démontrent qu’une transition mondiale du système alimentaire vers un fonctionnement plus durable nous donnera une grande chance de revenir dans un espace opérationnel sûr à l’intérieur des limites planétaires, et sera l’opportunité d’éviter de précipiter le système sur une trajectoire irréversible », déclare-t-il.
Réparer le système alimentaire : une question qui s’étend au-delà du changement climatique
Le système alimentaire est souvent la première victime d’événements climatiques comme les inondations, les incendies ou la sécheresse. En réalité, il est la victime de ses propres effets négatifs. Néanmoins, restaurer la durabilité de la chaîne alimentaire est essentiel non seulement pour le changement climatique, mais aussi pour la survie de l’humanité.
La sécurité alimentaire est fragile, en particulier dans les pays émergents et à une forte croissance démographique. Les dernières recherches montrent qu’en l’état actuel des choses, notre système alimentaire ne peut nourrir que 3,4 milliards de personnes pour préserver les limites planétaires4. Mais la population mondiale atteint déjà 7,8 milliards d’individus et devrait avoisiner les 10 milliards en 20505, ce qui signifie que le point de bascule d’une alimentation durable a déjà été dépassé.
Un lien peut également être établi entre notre système alimentaire actuel et la crise sanitaire qui vient d’éclater. La fréquence des maladies virales zoonotiques a été directement attribuée à l’expansion de l’agriculture dans des habitats naturels auparavant intacts6.
De plus, l’inflation des produits alimentaires s’accroît alors que la fiabilité alimentaire diminue. Avec le risque de fragiliser encore plus ceux qui ont le plus grand besoin d’une bonne nutrition. Quelque chose doit changer.
Régime alimentaire planétaire
Le premier défi consiste à modifier les habitudes alimentaires.
Il n’est pas question uniquement de la quantité de nourriture consommée. Le type d’aliments que nous mangeons contribue aussi à réduire les ressources naturelles et économiques. Un régime alimentaire et une nutrition inappropriés entraînent très souvent des maladies comme l’hypertension, certains cancers et les diabètes, créant ainsi des pressions et des coûts dans les systèmes de santé mondiaux. Toutefois, il est prouvé également que la malnutrition est un frein considérable au PIB en raison de ses conséquences en matière d’absentéisme au travail et de productivité réduite.
L’adoption d’un régime plus sain permettrait non seulement de créer de la valeur dans l’économie mondiale, mais aussi d’accroître la main d’œuvre, en diminuant les maladies et les décès prématurés. D’après le Professeur Rockstrom, un régime méditerranéen ou flexitarien, comportant une moindre consommation de viande rouge et davantage de fruits et de fruits secs, aurait des effets positifs à la fois pour l’humain et pour la planète : un changement gagnant-gagnant.
Les choses vont dans le bon sens, mais encore lentement. Le régime flexitarien fait déjà de plus en plus d’adeptes. Le « Green Monday », par exemple, est un mouvement lancé sur les réseaux sociaux, dans lequel les gens s’engagent à ne pas consommer de viande un lundi pour rendre leur régime alimentaire plus durable.
L’agriculture intelligente
Les changements requis ne se limitent pas au contenu de notre assiette et à la façon dont nous le mangeons : en effet, les modes de production de nos aliments sont actuellement non durables et polluent l’environnement. La moitié des sols habitables sont utilisés pour des pratiques agricoles à l’origine d’un pourcentage élevé des émissions de GES.
Les sols ont la faculté de stocker plus de carbone que l’atmosphère et les végétaux terrestres réunis : nous avons donc une excellente solution à portée de main, pour peu qu’elle soit mise en œuvre efficacement. Ce potentiel est pourtant rapidement rongé par les pratiques agricoles commerciales. Déjà un tiers de couches arables a disparu, et il pourrait bien ne rester plus que 30 à 40 récoltes si nous ne changeons pas ces pratiques.
La conversion à l’agriculture biologique et l’élimination des pesticides toxiques pourraient aider à changer la donne. En France, une expérience a démontré qu’une augmentation de 4 pour mille de la matière organique permettrait d’infléchir considérablement la courbe des émissions de carbone7.
Les systèmes de contrôle climatique en serre donnent également des résultats. Ceux-ci peuvent augmenter les rendements jusqu’à 30 fois, tout en réduisant de 90 % la consommation d’eau (laquelle peut provenir des eaux pluviales au lieu de sources d’eau douce). Aspect important, ces serres peuvent aussi se situer à proximité des habitations, nécessitant donc moins de surface, avec un modèle reproductible pouvant être répliqué dans le monde entier.
Les technologies comme les robots de récolte, l’apprentissage machine et les capteurs contribuent également à une meilleure efficacité agricole. L’adoption de ce type de dispositifs, parmi d’autres pratiques plus durables, doit être encouragée et soutenue à l’échelle de toute la planète.
S’engager pour sensibiliser
Contrairement au domaine du changement climatique, dans lequel de nombreux secteurs continuent de rechercher des nouvelles technologies pour faciliter leur décarbonation, les solutions existent déjà pour rendre plus durable la chaîne alimentaire. La différence est que l’urgence de la question n’attire pas autant d’attention que le changement climatique.
La deuxième phase du sommet de la COP 15 se déroulera cette année au mois de mai. Cette fois-ci, l’événement devra s’inspirer de la COP 26 pour médiatiser davantage sa cause, afin de garantir que la biodiversité, l’alimentation et la santé mobilisent suffisamment pour faire changer les choses.
La communauté des investisseurs a, elle aussi, un rôle à jouer. Comme dans tout mouvement de transformation, des opportunités financières énormes vont s’offrir aux investisseurs. Ceux-ci peuvent également se servir de leur influence pour interpeller les entreprises et les pousser à modifier leurs pratiques, comme c’est actuellement le cas avec la décarbonation.
Chez BNP Paribas Asset Management, nous menons des actions d’engagement auprès des entreprises afin d’éduquer, de sensibiliser, d’encourager la transparence et de défendre l’adoption de normes alimentaires durables. Nous prônons également davantage d’intervention des pouvoirs publics dans la réglementation des normes alimentaires, l’instauration de taxes favorables aux solutions alimentaires plus saines et des pratiques d’étiquetage plus efficaces.
Enfin, au travers de nos stratégies environnementales, nous investissons dans les entreprises qui proposent une réponse à l’enjeu de la durabilité de l’alimentation. Nous offrons ainsi un plus vaste éventail d’opportunités à nos clients, pour leur permettre non seulement d’inciter à de vrais changements, mais aussi de bénéficier du potentiel de croissance de ces entreprises innovantes.
- https://unric.org/en/cop15-cop26-why-two-cops-
- https://news.un.org/en/story/2021/11/1105172
- https://news.un.org/en/story/2021/11/1105172
- https://www.newscientist.com/article/2230525-our-current-food-system-can-feed-only-3-4-billion-people-sustainably/
- https://www.gov.uk/government/publications/trend-deck-2021-demographics/trend-deck-2021-demographics
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3666729/
- https://www.4p1000.org/